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Sarah s'est vue mourir. Un matin que je travaillais à l'hôtel où elle séjourne avec Michel depuis quelques semaines, elle happe mon attention alors que je suis occupé avec d'autres clients. Elle ne se sent pas bien, pas bien du tout. J'abandonne mes clients pour accompagner Sarah dans sa chambre. J'informe mes collègues à la réception et la direction de où je me trouve, avec qui et pourquoi. Elle tousse à s'en faire péter les poumons, elle peine à respirer. Elle s'allonge sur le lit, je lui tiens compagnie le temps que Michel nous rejoigne et prenne le relai.
Nous appellerons les secours. Qui arrivent assez vite et c'est heureux. Sarah me demande de passer par l'entrée de service. Je l'accompagne jusqu'au véhicule des pompiers. Elle me dit et me répète entre deux quintes de doux : ne me lâchez pas, s'il vous plaît, je vous en supplie, Laurent, ne me lâchez pas. Je lui tiens la main, la réconforte à ma façon.
Sarah est revenue des urgences, elle y a passé quelques nuits blanches. Elle va mieux.
Elle m'offre de contempler les feux d'artifice avec Michel depuis la terrasse de leur suite. Je décline l'invitation. Pour plein de raisons idiotes.
Quand Sarah passa à la réception c'est un sourire rayon de soleil et une bise claquée de la main envoyée avec candeur et générosité à l'équipe. J'ai changé d'avis. J'ai accepté de rejoindre mes clients qui retournent le don d'hospitalité au réceptionniste dont c'est le métier.
- Je ne sais pas pourquoi. Je n'osais pas. Par timidité peut-être.
- Tout ça c'est des conneries, rétorque-t-elle en balayant mes arguments d'un revers de la main.
- C'est exactement ce que je me suis dit quand je vous ai envoyé ce SMS.
Quand elle passe à la réception le soir du 14 juillet pour aller faire quelques emplettes, mes yeux pétillent d'anticipation. Sarah revient une baguette de pain sous le bras. Devant mes collègues et d'autres clients perplexes, elle rompt le pain et me tend le quignon tout chaud que je grignote vite fait.
Sur leur terrasse, à boire et à manger. Et la Tour Eiffel qui va emplir les mirettes des 500 000 spectateurs massés sur le Champ-de-Mars, jeter de la poudre à nos yeux éblouis, des feux d'artifice en forme de smileys et de cœurs, trente minutes de joie partagée.
Bras dessus bras dessous, Michel à sa gauche et moi à sa droite, Sarah s'émerveille de tant de beauté. Elle m'apporte régulièrement un bout de pain surmonté d'une tranche de saucisson, remplit mon verre. Telle une petite fille de huit ans, elle tricote les superlatifs, fait des wow, des c'est-magnifique, des c'est-beau, elle partage son bonheur d'être en vie et en bonne compagnie.
Nous refaisons le monde et mettons Paris en bouteille jusqu'à trois heures du matin.