Henning Mankell cite La
Chanson de Roland en épigraphe : « Il
a beaucoup appris, celui qui connut la douleur. » Cet apprentissage
par la douleur, Fredrik Welin, chirurgien contraint d’abandonner sa profession
après une opération qui s’est mal passée, l’a vécu dans Les chaussures italiennes, traduit en 2009. Depuis, quelques années
ont passé, dans la vie de son personnage comme dans celle de l’auteur qui,
avant de mourir en 2015, avait retrouvé l’îlot où s’était installé Fredrik.
Il y est toujours et, dès les premières pages, sa maison
brûle dans son sommeil. Il en sort de justesse et se trouve dehors à regarder
le brasier, bientôt rejoint par des voisins qui arrivent des îlots voisins,
puis par les garde-côtes qui, trop tard, apportent du matériel contre
l’incendie. Dans sa fuite, Fredrik n’a eu le temps de rien emporter ni de
vérifier quelles bottes il enfilait. Deux pieds gauches… Jansson, facteur à la
retraite curieux de tout, le remarque avant lui et se propose de lui prêter une
botte pour pied droit, en attendant que Fredrik en achète une autre paire. Ce
qui n’ira pas sans mal, car il veut un produit suédois et le magasin le plus
proche n’a en stock qu’un modèle fabriqué en Italie. Il faut commander, cela
prendra du temps, un des fils narratifs du roman est tiré et explique le
titre : Les bottes suédoises.
Un autre récit, qui retiendra l’attention jusqu’au bout, est
lié à l’incendie de la maison. Il semble inexplicable, la police et l’assureur
s’interrogent. Fredrik, de moins en moins patient avec l’âge, est persuadé
qu’on le soupçonne d’y avoir mis le feu lui-même. Il n’aime pas ça et le fait
savoir dans de belles envolées colériques. Puis d’autres maisons brûlent, il
n’est plus qu’un témoin comme les autres habitants de la région, sa pyromanie
potentielle s’efface tandis qu’il mène sa petite enquête personnelle pour
découvrir le coupable.
Ces éléments sont posés avec savoir-faire par un romancier
jamais très loin des mécanismes du roman policier qu’il mettait en place dans
les enquêtes de son héros récurrent, Kurt Wallander. Mais c’est un autre aspect
des Bottes suédoises qui renouvelle
l’émotion déjà ressentie à la lecture des Chaussures
italiennes : le vieillissement, la mort de proches, la difficulté pour
Fredrik à comprendre sa fille, la solitude et l’espoir, malgré tout, d’un
dernier partage… Médecin retraité, bien placé pour savoir que les maux les plus
divers peuvent s’abattre sur lui à tout moment et, donc, soucieux de disposer
toujours d’une réserve de médicaments pour les combattre, Fredrik mesure avec
précision sa décrépitude physique : « Vieillir,
c’était perdre un peu d’énergie chaque jour qui passait, jusqu’au moment où
elle serait épuisée. » Il ne craint pas la mort, mais son corps
diminué l’ennuie.
Quand tous les livres de Henning Mankell auront été traduits, son sens
de l’humanité nous manquera vraiment. On n’en est pas encore là et ce serait
une erreur de ne pas profiter des derniers textes encore à découvrir. Chaque
fois, cela fait beaucoup de bien.