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On savait Max Gallo malade, il l’avait
lui-même annoncé. Aujourd’hui, j’apprends sa mort, à l’âge de 85 ans. Il n’y
aura pas de place dans sa tombe, s’il en a une, pour y placer son œuvre complète,
sinon en édition numérique : il a publié, lis-je sur le site de France Info, plus d’une centaine de livres. Je n’avais pas compté, mais je
ne suis pas surpris. D’une part parce que j’étais bien incapable de lire un
ouvrage sur Mussolini quand il a publié le sien chez Marabout, dont les
collections tapissaient des murs de la maison où je vivais enfant – et c’était
déjà une réédition, en 1966… D’autre part parce que l’abondance de sa
production a fini par me détourner de ses livres, je n’arrivais pas à suivre et
surtout ceux que j’avais ouverts m’ont semblé assez bâclés. Il n’est pas le
premier académicien français à avoir pressé sa documentation jusqu’au bout des
possibilités de contrats avec des éditeurs. Il n’est probablement pas le
dernier non plus.
Autre chose m’en avait aussi
éloigné, qui est plus personnel et, pour tout dire, un peu idiot, avant le
temps où les lectures m’ont étouffé.
Je l’aimais pourtant bien, Max
Gallo, dans les années 70, et cela a duré. Nous nous étions rencontrés
plusieurs fois, il y avait de la sympathie. Je crois. Quand il a donné, à un
personnage déplaisant d’un de ses romans (j’ai oublié lequel), mes prénom et
nom, j’ai éprouvé un malaise que je n’ai ai malheureusement jamais eu l’occasion
d’évoquer avec lui. C’était vers le milieu des années 90, et puis de toute
manière j’ai quitté l’Europe en même temps que Max Gallo et ses livres.
J’avais éprouvé du plaisir avec Le cortège des vainqueurs, Un pas vers la mer, L’oiseau des origines, la suite romanesque de La baie des Anges, quelques autres aussi. Puis le plaisir a diminué,
s’est estompé. Tout s’explique, je pense, quand je relis les quatre articles
brefs que je retrouve, écrits sur quelques ouvrages pendant une période assez
courte, entre 1995 et 1998. Ils sont généralement consacrés à des rééditions au
format de poche et la date que je donne est celle de leur parution dans Le Soir. Ils sont tels qu’ils sont
parus, et se répètent, pour le lecteur d’un quotidien qui ne se souvient pas
toujours de l’article précédent…
Voici ces quelques textes.
Les rois sans visage (1995)
Entre la publication, au
printemps, du Fils de Klara H et
celle, à l’automne, de L’Ambitieuse, deux
volumes du vaste cycle La Machinerie
humaine, la réédition des Rois sans
visage permet au lecteur ayant pris le train en marche d’accéder à un autre
pan de ce portrait du siècle.
On y découvre les fils secrets du
pouvoir, ceux qui lient souterrainement des hommes détenteurs d’un passé
inavouable, mais que d’aucuns aimeraient mettre au jour. Le conflit est
fondamental, entre la vérité et le mensonge. Et, comme il le fait si bien, Max Gallo
le traduit dans une aventure humaine dont les protagonistes nous touchent
directement, parce qu’il nous les fait connaître de près sans rien masquer de
ce qu’ils sont.
Notons que, si La Machinerie humaine est construite
comme un ensemble cohérent, chacun de ses épisodes est détaché des autres et
peut se découvrir indépendamment des précédents. C’est au hasard des lectures
dans le désordre qu’on rencontrera des personnages déjà croisés ailleurs…
La part de Dieu (1996)
Max Gallo poursuit, à grandes
enjambées, la construction de cette Machinerie
humaine qui se veut, et qui de plus en plus est, l’équivalent de La Comédie humaine de Balzac, celle-ci
pour le dix-neuvième siècle, celle-là pour le nôtre. Septième volume de cette
entreprise romanesque à l’ambition rarement égalée à notre époque, La part de Dieu en est aussi le
troisième à paraître en moins d’un an, ce qui témoigne d’une création à jet
continu, et cependant très organisée, inspirée par les questions d’une époque
dont les ambiguïtés ne sont pas moindres qu’il y a un siècle.
Le livre qui vient de paraître, où
on retrouve un certain nombre de personnages déjà rencontrés précédemment mais
qui peut se lire sans rien savoir des épisodes précédents, aborde la question
délicate des nouvelles croisades engendrées par la nouvelle donne sociale d’aujourd’hui.
Prenons une cité (autrefois, sans
doute, dite « modèle ») dans laquelle, à Clermont, ville de départ
des croisades catholiques d’autrefois, vivent un grand nombre de musulmans. Certains
de ceux-ci, sous prétexte de résister à une assimilation qu’ils trouvent
fondamentalement malsaine, agitent des idées qui les conduisent à des actes
violents, ou au moins à les susciter. Et, quand des meurtres sont commis dans
les environs, le commissaire Beaufort tente de relier tous les éléments dans un
ensemble cohérent dont tous les liens soient satisfaisants pour l’esprit.
Mais comment détacher
complètement les réactions personnelles de l’intérêt général ? Une des
forces de ce roman de Max Gallo est de ne pas masquer les faiblesses d’un homme
qui, pour représenter la loi, n’en est pas moins homme, et s’engage par
conséquent parfois sur des voies sans issue pour des raisons purement
personnelles.
Posant des questions graves, et
le faisant, ce qui est la force du romancier, avec un côté visionnaire – Max
Gallo précise qu’il a terminé ce livre avant les récents attentats imputés à l’intégrisme
musulman –, l’auteur met en scène les dessous de notre monde. Il est bon que l’écrivain
ne laisse pas à l’information le droit absolu à la vérité. La fiction a en
effet cette qualité particulière, quand elle est intelligemment menée, de
rendre compte du réel avec une force singulière qui la rend sans doute
intelligible au grand public, et qui lui donne du sens. Et c’est d’autant plus
vrai que ce sens n’est pas restitué de manière simpliste, voire manichéenne.
Max Gallo n’est pas un écrivain
de haut vol, un de ceux dont la langue interpelle dès les premières lignes d’un
livre. Mais il possède d’autres qualités, tout aussi indispensables à la
liberté d’expression, puisqu’il dénonce les aspects cachés de notre société et
démonte les mécanismes du secret dont nous nous satisfaisons trop souvent.
Le fils de Klara H. (1997)
Dans son immense Machinerie humaine, un ensemble
romanesque dont un nouveau volume doit d’ailleurs sortir ces jours-ci (La femme derrière le miroir, chez Fayard),
Le fils de Klara H. est un des titres
les plus durs et les plus humains de Max Gallo. Il y accomplit le tour de force
qui consiste à voir un personnage honni, Hitler, par les yeux de sa mère – la
Klara H. du titre.
En même temps, par une mise en
parallèle qui fonctionne à la perfection, à la manière d’une machinerie, précisément,
très au point, il saute par-delà quelques décennies pour mettre en scène un
authentique complot d’extrême-droite situé dans notre présent, et qui trouve
ses racines dans les années d’entre-deux guerres.
L’horreur d’une violence extrême
appartient à notre quotidien, les événements de l’année dernière en Belgique
nous l’ont abondamment prouvé. Le romancier, avec les qualités d’un visionnaire,
place des faits comparables, bien que différents, dans le contexte d’une
idéologie qu’il ne finira jamais de dénoncer.
Le faiseur d’or (1998)
Serge Derain, dans le huitième
volume de La machinerie humaine, est
un écrivain ambitieux mais dont le succès des deux premiers romans n’est pas à
la hauteur des attentes affichées par son éditeur. Au lieu de publier son
troisième livre, celui-ci le lance donc sur un projet plus commercial. Etant
entendu que l’argent appelle l’argent, le sujet en sera Samuel Ringel, grand
financier, gourou de Wall Street, au passé soigneusement réécrit et aux
méthodes expéditives.
Derain n’a pas l’habitude de
côtoyer ce monde. Il en sera très vite le prisonnier, retenu par des chaînes en
or – l’argent et son pouvoir ! – avant de basculer une fois encore devant
l’horreur de ce qu’il découvre. Gallo joue avec les réseaux de la haute finance
pour en démonter les mécanismes secrets, et montrer comment l’or appelle la
mort.