Tandis qu'Amazon annonçait récemment l'acquisition de Whole Foods, les tenants des réseaux d'agences ont à nouveau fait entendre leur voix : si les géants du web ressentent le besoin d'investir dans le commerce « en dur », n'est-ce pas le signe que les banques ont tort de réduire leur présence physique ? Le raisonnement est hélas simpliste…
Pour une fois, je ne m'attarderai pas sur la valeur intrinsèque de l'agence ou sur l'importance de la relation humaine (qui d'ailleurs devrait en être beaucoup plus décorrélée qu'elle ne l'est généralement) pour la banque de demain. Le point qui m'intéresse ici est de démontrer pourquoi l'analogie avec le commerce de détail – à laquelle ont fréquemment recours ceux qui veulent justifier le maintien des points de vente – est artificielle et en quoi elle risque d'inspirer des stratégies insidieusement stériles.
Ainsi, comparer une boutique avec une agence bancaire revient à oublier une différence essentielle entre ces types de lieux et, surtout, entre les motivations qui incitent les clients à pousser la porte de l'une ou de l'autre. En synthèse, d'un côté, l'objet de la visite est tangible et désirable (certes à des degrés variables). De l'autre, il n'est plus même question d'objet et les mots associés en priorité à l'expérience sont plutôt « service », « conseil » (idéalement), « ré-assurance », « obligation »…
En effet, quels que soient les bénéfices de la vente à distance, l'achat en magasin possède encore, et pour longtemps, un avantage exclusif et déterminant : la possibilité immédiate de voir, toucher et même, dans certains cas, essayer le produit convoité. Il s'agit là d'un besoin universel – concernant tous les secteurs de la distribution, de l'alimentation (qui nous ramène à Whole Foods) au bricolage, en passant par le luxe, par exemple – que les plates-formes web doivent contourner pour réussir.
Dans cette logique, l'objectif d'une boutique est simple : faire en sorte que le visiteur regarde, manipule et essaye les produits exposés, de manière à susciter une envie d'achat. Là aussi, même si les émotions ne sont pas égales face à une tomate et une paire de chaussures et que tous les marchands ne le maîtrisent pas intimement, le mécanisme mis en jeu est toujours identique. L'archétype de ce modèle est l'Apple Store, dont la mission n'est point de vendre mais de rendre désirables les objets exposés.
Qu'en est-il dans la banque ? Une première particularité de l'agence est qu'elle est historiquement consacrée, en priorité, à l'exécution d'opérations (dépôts, retraits, virements…). Bien sûr, les responsables cherchent par tous les moyens à la transformer en point de vente, notamment en installant des automates pour remplir ces fonctions, mais l'habitude est fortement ancrée dans la population et elle continue à marquer l'« ambiance » (cf. les rangées de tablettes parfois mises à disposition des visiteurs).
Si la transition vers un modèle de vente se concrétise, il subsistera un autre obstacle à franchir. Ce que la banque propose à son client est non seulement intangible mais, de surcroît, complexe (au moins dans la présentation qui en est couramment faite). Il est rigoureusement impossible de faire voir, toucher et tester quoi que ce soit, puisque le produit commercialisé est virtuel ! Ce qui emportera la décision d'achat, ce n'est pas un rapport « sensuel » avec un objet, mais uniquement la qualité du conseil.
J'adresse donc un message à tous les banquiers. Peut-être avez vous raison de maintenir votre confiance en la valeur de votre réseau d'agences. Mais, par pitié, n'allez pas croire que vous l'adapterez aux besoins des consommateurs en adoptant les standards du commerce de détail. Si vous copiez l'Apple Store, vous ferez la promotion des produits d'Apple mais vous ne vendrez rien ! Vous devez trouver les clés spécifiques de votre transformation, en partant de vos objectifs et des attentes réelles de vos clients.