Shin Godzilla – Casse politique

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Il serait facile de résumer la différence entre créations japonaises et américaines à une volonté ou non de choquer. De livrer des métrages féroces ou aseptisés.

Quoi que l’on puisse en penser, le cinéma américain a fourni ces dernières années son lot de superproductions frondeuses, politiquement engagées. Le Pont des Espions, Mad Max : Fury Road, Hacksaw Ridge n’étant que quelques exemples parmi la liste de ceux ayant été dernièrement produits.

Ceci étant dit, les deux derniers Godzilla en date, Shin Godzilla (ou Godzilla Resurgence) de la Toho donc et Godzilla de Gareth Edwards d’autre part, trahissent eux une différence fondamentale d’approche dans la représentation d’un mythe, et le message qu’il entend envoyer au sens large à la société.

Sans dévaluer outre mesure la version de Legendary Pictures qui avait fournie son lot d’images marquantes et d’idées intéressantes, une projection de Shin Godzilla suffit pourtant à mesurer le gouffre séparant une adaptation portant avant tout sur un nom, de celle dont la culture émane du cœur et de l’image constamment.

Le plus frappant tient évidemment aux différences de traitement quant au design de la créature en elle-même. Dans Shin, une irruption de Godzilla provoque le malaise, rend inconfortable, de par ses proportions irréelles, sa peau de sang et de chair en putréfaction, en décomposition recomposée, ses dents acérées rappelant celles d’un poisson-pêcheur (oui, celui des bas-fonds faisant réellement peur), et ses yeux inanimés pourtant empli d’une extrême cruauté.

L’effet animatronique a encore frappé : ces satanés poupées n’ont pas leur pareil pour distiller une inquiétante étrangeté.

Un sentiment d’inconfort, également, quant à sa nature et ses motivations. Si le Godzilla de Gareth Edwards était avant tout une force de la Nature émergeant de son sommeil de manière cyclique pour rétablir un certain équilibre, celui d’Hideaki Anno (réalisateur de la célèbre série animée Neon Genesis Evangelion) n’est de son côté que fléau et désolation.

Une malédiction lâchée sur l’espèce humaine, lui faisant payer le tribut de ses excès, de sa mégalomanie, de son incompétence, de son incapacité à préserver cette même Nature, et vivre avec elle en harmonie.

Shin Godzilla ne lésine donc pas sur les effets de destruction urbaine, et mieux, sur l’utilisation des pouvoirs de Godzilla, plus ravageur que jamais, bien que vis-à-vis de son cousin américain, la gestion de l’échelle de plans, c’est à noter, se fait moins aboutie et léchée. La composition formelle et la mise en scène, elles, faisant également preuve de moins de virtuosité.

Quoi qu’il en soit compensée par une bonne dose d’inventivité, ainsi que par un humour savamment dosé.

Quand bien même les enjeux sont d’une extrême gravité (on parle tout de même d’une Tokyo ravagée, et des milliers de morts à la clé), Anno n’hésite pas à de multiples reprises à désacraliser l’instant, un peu à l’instar de Bong Joon-Ho sur The Host auquel on pense souvent.

Sans atteindre le génie de ce dernier, tant dans sa maitrise des ruptures de tons que dans celle de sa narration, Shin Godzilla sait se faire grave sans jamais se prendre au sérieux, ne mettant ainsi que mieux en évidence l’indigence et la nullité des membres du gouvernement japonais complètement dépassés.

Hiérarchie archaïque et empesée, absence totale de réactivité, manœuvres politiciennes opportunistes en pleine situation de crise au détriment d’une population délaissée, gouvernement fantoche face à l’ingérence des États-Unis : la charge d’Hideaki Anno et de Shinji Higuchi (co-réalisateur du projet) envers la classe politique de leur pays ne s’embarrasse ni de détails ni de nuances, mais traduit sans détours l’expression d’une colère et d’une rancoeur toujours bien présentes après les tragiques événements de Fukushima, les plaies à vif et non résorbées.

Et quoi de plus efficace pour dénoncer que de tourner en dérision et de s’en moquer ?

On pourra trouver la manière grossière, elle n’en produit pas moins son petit effet, et a le mérite de l’efficacité.

Le plaisir d’un Godzilla tient certes avant tout dans le fait de le voir tout casser (une dimension régressive que tout bon fan se doit d’assumer), mais y voir ajoutés un discours politique teinté de peinture sociale ainsi qu’un happy end amer représente la cerise sur un gâteau savoureusement bien chargé.

Film catastrophe par excellence, généreux, impressionnant, varié et intéressant, Shin Godzilla est la preuve par l’exemple que les japonais possèdent toujours une belle longueur d’avance sur leurs concurrents lorsqu’il s’agit d’utiliser leur propre folklore à bon escient.

Quelque part, c’en est presque rassurant.

Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.