L'art et la manière
Ah ! La fameuse frontière entre l'art et le profane que les artistes contemporains interrogent sans cesse fait les beaux jours des farceurs et autres raconteurs d'histoires. Notre quidam hilare a placé un Fidget Spinner sur le sol dans cette salle d'art contemporain et les visiteurs le photographient comme s'il faisait partie des œuvres exposées.
On se gausse, mais, en réfléchissant un peu, on n'est pas mieux avec l'art dit classique que nous sommes tellement habitués à cataloguer comme tel que nous ne percevons plus la magie sacralisante qui, historiquement, l'a constitué comme tel. Tiens, La Joconde, mis à part les spécialistes, pourquoi les gens viennent-ils la voir ? Un simple portrait dont on dit jusqu'à plus soif l'énigme du sourire. L'énigme, c'est bien plutôt pourquoi cette horde internationale vient faire des selfies devant cette croûte de la Renaissance alors qu'à l'époque, il y avait des tableaux mille fois plus séduisants. L'art classique n'est pas interrogé comme l'art moderne et donc, le visiteur consumériste flotte benoîtement sur son flot d'ignorance "cultivée" faite uniquement de reconnaissance visuelle. La Joconde, coupure épistémologique de l'histoire de l'art est devenue un tableau "à regarder", fléché de toute parts par une muséographie grandiloquente et un académisme universitaire d'Etat constitué d'incontestables spécialistes. L'art à, si on devait chiffrer, à 90% hors champ de la toile.
L'art contemporain est un champ complexe jouant de la fixation plus ou moins conceptualisée de ses limites. Les discours sur sa valeur s'organisent au jour le jour, la consécration étant la plupart du temps extrinsèque à l'œuvre. L'Urinoir de Duchamp ou les Monochromes de Klein trottent toujours dans les têtes, faisant preuve que ce qui est estampillé "art" est une confiance assez magique, dans le jugement des autres : marchands, exposants, acheteurs, galeristes...