Or noir et ballon rond en Russie : L'effet Gazprom

Publié le 27 juin 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Vendredi, 27 Juin 2008 16:32

Par Laurent Pfaadt

Le 14 mai 2008, le Zénith St Petersbourg remportait sa première coupe d'Europe, la coupe de l'UEFA en battant les Glasgow Rangers à Manchester deux buts à 0. Il succédait ainsi au FC Séville, vainqueur des deux dernières éditions (2006, 2007) et au CSKA Moscou qui remportait le trophée en 2005, offrant à la Russie sa deuxième coupe d'Europe. Le 21 mai 2008, le stade Loujniki de Moscou accueillait la finale de l'autre coupe d'Europe, la Ligue des champions remportée par Manchester United après avoir accueilli la finale de la coupe de l'UEFA en 1999. Enfin, le 26 juin 2008, l'équipe nationale russe, véritable révélation de la compétition, fut défaite en demi-finale du championnat d'Europe des nations après avoir éliminé l'Angleterre en qualifications puis la Suède et les Pays-Bas durant la compétition.

Même si les performances sportives du Zénith et de l'équipe nationales ont indiscutables avec des victoires éclatantes et indiscutables, il est évident que la manne financière et gazière de Gazprom a rendu contribué à la réalisation de ces succès en terme de formation, d'équipements et surtout de salaires pour maintenir les meilleurs joueurs russes aux pays.

Pendant longtemps le football russe a été miné par un problème insoluble : son climat. En effet, en raison de la rudesse du climat, le championnat russe s'étale du milieu du mois de mars à la mi-novembre, ce qui est souvent préduciable aux clubs engagés dans les compétitions officielles européennes. Ainsi face à Marseille, le Zénith a été défait 3-1 le 6 mars 2008 au stade Vélodrome avant de refaire son retard à Moscou (2-0) une semaine plus tard.

Il est assez amusant de comparer les destins croisés des deux vainqueurs russes de la coupe de l'UEFA, le CSKA Moscou et le Zénith St Petersbourg dans les eaux mirifiques du pétrole. En 2003, le CSKA Moscou, ancien club de l'Armée rouge sous l'URSS (une étoile rouge ornant son blason) renoue avec la victoire en remportant le titre de champion de Russie, douze ans après son dernier sacre, mettant fin à la toute puissance d'un autre club de Moscou, le Spartak. Le club se lance alors dans une politique de recrutement ambitieuse facilitée par la signature d'un contrat de sponsoring de trois ans avec le géant pétrolier Sibneft pour un montant de 54 millions de dollars. « Avec un peu de chance, nous deviendrons deux fois plus fort avec un tel partenariat » s'exclame alors le président du CSKA, Evgeny Gliner (CNN.com 17/03/2004).

Le pétrole entre ainsi dans le football puisque d'autres compagnies pétrolières telles Lukoil ou Yukos sponsorisent des équipent de football. Sibneft appartient à un oligarque, Roman Abramovitch, qui laisse la présidence du club à un ami, Evgeny Gliner, puisque le magnat russe a, depuis juin 2003, racheté le club anglais de Chelsea et le règlement de l'UEFA ne lui permet pas de cumuler deux présidences. Avec près de 20 millions de dollars de budget, des internationaux brésilien (Vagner Love), croate (Ivica Olic pour 5,73 millions de dollars) ou tchèque (Jiri Jarosik) rejoignent le club du CSKA qui enchaînent les victoires, réussit un doublé (championnat et coupe) en 2005 et 2006 et gagne pour la Russie la première coupe d'Europe de son histoire en battant sur son propre stade à Lisbonne, le Sporting du Portugal (1-3).

Mais son étoile commence déjà à pâlir.

La politique de concentration énergétique menée par Vladimir Poutine pour faire de Gazprom un géant mondial des hydrocarbures et s'effectue à coup de rachats (Sibneft) ou de reprise en main judiciaires (Ioukos).

En effet, en novembre 2005, Gazprom qui a racheté Sibneft, décide de rompre le contrat avec le CSKA, pour prendre le contrôle du Zénith St Pétersbourg. L'investissement est cette fois beaucoup plus important : près de 140 millions de dollars, soit plus de deux fois celui du CSKA Moscou. Avec une telle somme, le Zénith n'a pas eu de mal à faire venir les stars russes et ukrainiennes, notamment Anatoliy Tymoshchyuk, l'ukrainien du Chakhtior Donetsk pour 20 millions de dollars ce qui constitue un record en terme de transfert pour un club russe. De plus, le club se lance dans la construction pharaonique d'un nouveau stade de 60 000 places pour un budget avoisinant les 250 millions de dollars.

Pourquoi ce revirement?  St Petersbourg amène tout de suite à penser que le club a bénéficié du soutien sans faille de l'ancien et du nouveau présidents, Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev qui ont voulu faire de leur ville, l'un des acteurs majeurs du sport le plus populaire au monde et regardé par des centaines de millions de personnes. Dimitri Medvedev était d'ailleurs, avant son élection, le président du conseil d'administration de ... Gazprom. La boucle est bouclée.

Cela n'est pas tout car les résultats sportifs doivent suivre ces investissements. Pour être compétitif, le Zénith rompt avec la tradition des entraineurs russes tout puissants en confiant les rênes de l'équipe au néerlandais Dick Advocaat, ancien entraineur des Glasgow Rangers. Ce recrutement est judicieux car au même moment l'équipe nationale est entraînée par un autre hollandais, Guus Hiddink, véritable magicien du football. Le Zenith joue ainsi à l'européenne avec la rigueur hollandaise où le jeu court est privilégié et après plusieurs mois d‘adaptations, le club se lance dans cette campagne européenne tout en remportant le championnat russe en 2007. Le soir de la finale de la coupe de l'UEFA, Kevin O'Flynn, journaliste à The Observer rappelle que l'Europe « verra l'image d'une nouvelle Russie forgée par le gaz, le pétrole et les millions qu'ils génèrent » (11/05/2008).

La grandeur de la Russie et son retour au premier plan sur la scène internationale passe donc aussi par des victoires et une gloire dans le sport. La remarque, certes caricaturale du chef du parti communiste de St Petersbourg, Sergei Malinkovich, appelant à faire de « l'internationaliste prolétaire »« Bayern Munich, impérialiste prussien et agent de l'OTAN » est néanmoins emblématique. (ScotlandonSunday, 03/05/2008) Dick Advocaat, un héros de l'Etat russe après avoir aidé à écrasé le « Bayern Munich, impérialiste prussien et agent de l'OTAN » est néanmoins emblématique. (ScotlandonSunday, 03/05/2008)

Néanmoins, ces liens entre football et pétrole ne sont pas choquants dans un monde où le football est bien plus un produit mondialisé et rentable qu'une simple distraction entre gentlemen bien élevés. A l'image d'intérêts américains rachetant Liverpool ou thaïlandais contrôlant Manchester City, ces liens montrent bien que la redéfinition géopolitique du monde dictée par les ressources énergétiques passe aussi par le sport et le football en particulier. Le « Grand Jeu » développé en son temps par Kipling pour désigner la lutte d'influence entre les grandes puissances, se joue donc aussi sur les pelouses et la Russie aurait tort de s'en priver.

Laurent PFAADT

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VU de MOSCOU; (Sélection RELATIO sur Ria Novosti)
Euro 2008: le parcours des Russes a entraîné un élan patriotique inouï

Indépendamment du résultat du match joué hier contre l'Espagne, les supporters russes, dont le nombre s'est sensiblement accru depuis le début de l'Euro, se souviendront de l'euphorie, de la fierté ou de la solidarité éprouvées après les victoires de leur équipe, et chercheront à l'avenir des occasions de revivre de tels moments, lit-on vendredi dans le quotidien Vedomosti.
L'identification vertigineuse, totale et massive avec le pays, l'amour envers son drapeau et son hymne ont surgi, pour ainsi dire, de nulle part, "d'en bas", ce qui est pour le moins étonnant, au regard de tous les vains efforts des autorités et des spécialistes de la politique pour inculquer ce comportement "d'en haut". Il y a deux semaines, lors de la fête nationale, la Journée de la Russie, rien de semblable n'avait été observé et, d'ailleurs, nombre de Russes ne savaient toujours pas comment s'appelait exactement cette fête. Est-ce que trois matches remportés à l'Euro suffisent à inculquer le patriotisme?
Les sociologues constatent depuis longtemps chez les Russes un déficit d'identification nationale. Par exemple, d'après les données d'un récent sondage de la compagnie Bachkirova & partners, les Russes qui s'identifient avant tout à leur patrie au sens local du terme sont les plus nombreux (44%), alors que seulement 29,6% d'entre eux s'identifient en premier lieu à la Russie en tant que pays.
L'élan actuel entraîné par le football peut être expliqué par la conjonction de plusieurs facteurs favorables. Pour ceux qui sont nés et ont vécu une partie considérable de leur vie en URSS, l'identification avec une nouvelle patrie apparue soudainement n'a pas été chose facile. D'autant que cette nouvelle patrie traverse jusqu'à présent une crise d'identité.
En outre, la crise de la perestroïka (restructuration) dans les années 1990 a habitué la population aux échecs aussi bien économiques que sportifs, abaissant considérablement l'opinion qu'ont les Russes d'eux-mêmes. L'essor qui a suivi la crise a entraîné des changements psychologiques importants: les Russes sont actuellement plus individualistes que les habitants de la plupart des pays d'Europe. Le succès personnel et l'aisance financière restent les principaux objectifs à atteindre. D'autre part, le déficit d'identification collective, de solidarité et d'échange social s'accentue.
Le sport est devenu un instrument convenable pour résoudre ces contradictions. L'équipe russe (cela vaut aussi pour les clubs) est une variante simple et pratique d'identification nationale. En effet, les supporters ne remarquent que les défauts de son jeu. Elle est exempte de contradictions économiques, ethniques et idéologiques (en tout cas, elles ne sont pas évidentes). Comme il ressort d'un sondage effectué par la fondation Opinion publique dès le mois de décembre 2006, les victoires sportives sont un objet de fierté pour 21% des Russes, loin devant la renaissance du pays et son essor économique (4%), le renforcement de sa capacité défensive (4%), l'activité de Vladimir Poutine (3%), et les réalisations dans les domaines de la science et de l'éducation (3%).

Vedomosti

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