Jusqu’au 23 juillet au musée Maillol
d’Art moderne, 21, rue La Boétie, où je compte faire
des expositions périodiques des Maîtres du XIXe et des
peintres de notre époque. J’estime toutefois que le défaut
des expositions actuelles est de montrer isolément l’oeuvre
d’un artiste. Aussi ai-je l’intention d’organiser chez moi des
expositions d’ensemble d’Art décoratif.
Bien des personnes, qui ne sont pas assez sûres de leur goût
ou du goût des Artistes, pris séparément, verraient leur tâche
facilitée en jouissant d’un coup d’oeil d’ensemble de l’étroite
réunion de tous les Arts dans l’atmosphère d’une habitation privée. »
Paul Rosenberg (1878-1959)
Nicalas de Staël
L’exposition 21 rue La Boétie retrace le parcours singulier
de Paul Rosenberg (1881-1959), qui fut l’un des
plus grands marchands d’art de la première moitié
du XXe siècle. Elle rassemble une soixantaine de chefsd’oeuvre
de l’art moderne (Pablo Picasso, Fernand Léger, Georges Braque,
Henri Matisse, Marie Laurencin…), pour certains inédits
en France et provenant de collections publiques majeures
telles le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay, le Musée Picasso
à Paris, ou encore le Deutsches Historisches Museum de Berlin,
ou d’importantes collections particulières comme celle de
David Nahmad. De nombreuses oeuvres sont directement liées
au marchand, pour avoir transité par ses galeries, à Paris ou
à New York, alors que d’autres renvoient au contexte historique
et artistique de l’époque.
Conçue par Tempora et réalisée par Culturespaces,
cette exposition bénéficie du soutien actif de la petitefille
de Paul Rosenberg, Anne Sinclair, auteur du livre éponyme
21 rue La Boétie (paru aux Editions Grasset & Fasquelle, 2012).
Marchand d’art passionné, homme d’affaires avisé
et amateur éclairé, Paul Rosenberg fut l’ami et l’agent
des plus grands artistes de son temps, qui allaient devenir des
maîtres incontestés de l’art moderne. Sa galerie mythique a
servi de pivot à la peinture moderne en France, et plus largement
en Europe et aux Etats-Unis.
La carrière de Paul Rosenberg permet d’appréhender sous un
prisme nouveau le double tournant, dans l’histoire de l’art, que
représentent l’émergence de l’art moderne, puis, dans la tourmente
de la Seconde Guerre mondiale, le déplacement du centre mondial
de l’histoire de l’art de Paris vers New York, en pleine crise de
la Seconde Guerre mondiale. Mêlant histoire de l’art, histoire
sociale et politique, l’exposition met en lumière un moment
crucial du XXe siècle, dont Paul Rosenberg a été un témoin
emblématique, à la fois acteur et victime.
Elle fait résonner les liens que Paul Rosenberg entretenait avec
Aristide Maillol, que le marchand défendait dans sa galerie.
Le commissariat de l’exposition est assuré par Elie Barnavi,
Benoît Remiche, Isabelle Benoit, Vincent Delvaux et
François Henrard, de l’équipe Tempora. Elaine Rosenberg,
belle-fille de Paul Rosenberg, à New York, a permis la
mise à disposition de ses archives, et Anne Sinclair est la
marraine de l’exposition.
SCÉNOGRAPHIE : HUBERT LE GALL
Paul Rosenberg vend ce qu’il aime moins pour acheter et
défendre ce qu’il aime vraiment – une méthode qui se lit
dans l’espace de sa galerie, disposée sur deux étages où le visiteur
et acheteur potentiel est invité à aller du plus familier au plus osé.
Et, loin de tuer l’ancien pour faire place nette au nouveau, il inscrit
celui-ci dans les pas de celui-là. La trajectoire de Picasso est à cet
égard révélatrice : Picasso et le cubisme, Picasso et Ingres, Picasso
et Renoir…
Georges Braque
À travers le choix d’une vingtaine d’oeuvres de premier plan
(Picasso, Léger, Braque, Masson, Sisley, Cézanne), le
visiteur est amené à mieux comprendre dans cet espace les choix
esthétiques et commerciaux opérés par Paul Rosenberg au sein
de sa galerie et par là même, à appréhender un moment clé de
l’histoire de l’art.
Si Paris est encore préservée, la menace pèse sur l’Allemagne
nazifiée des années 1930. La notion d’« art dégénéré »
(Entartete Kunst) est illustrée notamment dans la double
exposition de juillet 1937 à Munich, où l’on voit, à des fins de
propagande, « l’art allemand » opposé à un art dit « dégénéré ».
Conséquence de la politique menée par les nazis contre l’art moderne
dit « dégénéré » : la vente de Lucerne de 1939, et cette question
lancinante – faut-il acheter aux nazis ?
La position intransigeante de Paul Rosenberg se confronte à
celle, bien plus accommodante, de nombre de ses confrères,
ou encore de certaines institutions muséales (Liège, Bâle…).
Entre le goût du profit des uns, avides d’acheter des chefs-d’oeuvre
à vil prix, et le projet véritable de sauver les oeuvres, les motivations
des acquéreurs sont variées. Cependant, nombres d’acheteurs
potentiels s’entendent pour ne pas surenchérir.
Georges Braque
Partant de la France occupée, de Paris à New York en passant
par Bordeaux, avant d’embarquer pour l’Amérique,
Paul Rosenberg pense avoir mis en sécurité une partie
de ses tableaux en lieu sûr dans un coffre-fort à Libourne mais
celui-ci sera pillé par les soldats allemands.
En parallèle au parcours singulier de Paul Rosenberg est
évoquée la spoliation des oeuvres d’art par les nazis, leur
regroupement dans la salle des « Martyrs » au Jeu de Paume
puis le travail de pistage et de sauvetage des oeuvres d’art par
Rose Valland, alors attachée de conservation de cette institution.
À la même époque, cruelle ironie de l’histoire, la galerie de la
rue La Boétie est réquisitionnée par les Allemands et devient
l’Institut d’Etudes des Questions juives. A l’issue du conflit,
Paul Rosenberg reprend possession de sa galerie parisienne.
Ne pouvant se résoudre à rouvrir son commerce, il met le lieu
en vente mais prend soin, au préalable, de faire desceller les
mosaïques de marbre commandées à Georges Braque en 1929,
témoignage de leur lien d’amitié.
Pablo Picasso Madame Rosenberg et sa fille
L’histoire rocambolesque de la découverte par le lieutenant
Alexandre Rosenberg, fils et futur successeur de Paul,
de plusieurs dizaines d’oeuvres de la collection de son père
dans un train allemand saisi par son unité au nord de Paris.
Un extrait du film de fiction de John Frankenheimer,
Le Train, illustre à sa manière cet épisode.
Il est présenté le périple en France et en Suisse que
Paul Rosenberg, accouru dès 1946 des Etats-Unis pour
récupérer ses oeuvres volées.
L’accent est plus particulièrement mis sur les vicissitudes
d’une toile depuis sa sortie des mains de l’artiste
jusqu’à sa situation actuelle.
Robe bleue dans un fauteuil ocre de Henri Matisse
sert d’exemple du trajet parfois sinueux que peut emprunter
une oeuvre. La toile fut achetée par Paul Rosenberg
au peintre en 1937, volée par les nazis quatre ans plus tard
dans le coffre-fort de Libourne et destinée à la collection
particulière de Göring, achetée dans l’après-guerre par
l’armateur norvégien Niels Onstad au marchand parisien
Henri Bénézit et installée enfin au Centre d’Art Henie-Onstad
(HOK) dans la banlieue d’Oslo avant d’être finalement restituée
à la famille Rosenberg en 2012.
De par leur destinée, ces tableaux portent en eux l’histoire du siècle.