À travers son drap blanc soigneusement découpé à hauteur d’yeux, le fantôme regarde le personnage de Rooney Mara quitter les lieux. Un pavillon résidentiel qu’elle occupa avec son défunt conjoint (Casey Affleck), tragiquement décédé dans un accident de la circulation, à la lisière même de leur habitation.
Avant son départ, cette dernière laissera un ultime mot manuscrit, dans l’interstice d’un mur gagné par l’humidité qu’elle recouvrit d’une mince couche de peinture.
Un mot que le fantôme cherchera désespérément à récupérer. Son dernier lien avec une vie évanouie, son dernier but le gardant prisonnier de ces lieux occupés puis irrémédiablement désertés.
Une solitude constante dans les faits comme dans l’image : David Lowery, dans la continuité de son remake de Peter et Elliott le Dragon, a ainsi choisi de faire de ce vide existentiel et de cette quête de sens le pivot inaliénable de son récit.
Une approche jusqu’au-boutiste de la part du réalisateur, qui n’aura de cesse, quatre-vingt-dix minutes durant, d’infuser alors son histoire d’un rythme lancinant.
Une rythmique insufflée à l’écriture, volontairement avare en dialogues et en variété d’événements, tout autant qu’à la composition des plans. Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas assisté au déploiement d’une mise en scène aussi figée.
Un parti-pris radical à double tranchant, qui, sans nul doute, clivera fortement.
D’une part de par l’ennui potentiel qu’un tel choix induit intrinsèquement. Le cinéma reste l’art du mouvement, et son absence, couplée à celle de dialogues réduits à la portion congrue, ne peut que peser cruellement.
D’autre part, en s’inscrivant inévitablement dans une démarche que l’on pourrait qualifier d’auteurisante.
Une posture que ne cache d’ailleurs pas David Lowery qui, au détour d’une séquence alors en totale rupture de ton avec ce qui l’a précédée, convoque littéralement à l’image, pages en gros plan et lettres d’imprimerie à l’appui, The Haunted House de Dickens ou Nietzsche.
A Ghost Story verse ainsi dans l’expérimental se voulant lettré et cérébral, oubliant alors souvent en chemin ce qui lui restait de prise émotive avec son auditoire : l’empathie.
Une empathie qu’il est bien difficile d’éprouver à l’égard de personnages désincarnés, de manière anecdotique sans être anodine jamais nommés, passant à travers le film comme des êtres finalement plus éthérés que le(s) fantôme(s) qu’ils seront amenés à croiser.
Une fois n’est pas coutume, ce sont les enfants qui s’en sortiraient le mieux, justement dans le naturel candide dont ils font preuve, ajoutant une touche de vie bienvenue.
Pour respirer, changer d’air quelques instants, avant de retomber dans un sinistre que la figure du fantôme n’appelle pas forcément.
De la photographie grisâtre d’Andrew Droz Palermo au format de l’image (carrée aux bords arrondis, telle une diapositive à l’ancienne) que n’aurait pas renié Xavier Dolan, tout concourt à étouffer, à rester au plus près du fantôme et de ses obsessions, sans possibilité de s’échapper.
L’idée, loin d’être inintéressante, reste seulement diablement déprimante. Sur pareille(s) thématique(s), l’audace au détriment d’un classicisme scolaire (que l’on retrouve d’ailleurs dans le design – lui, réussi – du fantôme tout en drapés) et éprouvé aurait sûrement été plus emballante.
Si l’on ajoute à cela la présence de quelques facilités (notamment les dialogues sous-titrés entre fantômes, pourtant le reste du temps muets), d’une digression un rien pompeuse sur la vacuité d’un héritage face à l’inéluctabilité de la fin du monde, et surtout d’un twist aux deux-tiers du film, très opaque, assez maladroit et surtout, mal justifié par rapport au peu qu’il apporte à la compréhension globale du récit, difficile alors de ne pas penser à de l’esbroufe de petit malin de la part de David Lowery.
Malgré ce, comment nier pourtant que de l’ensemble arrivent ci et là à émerger des images et des souvenirs marquants ? Une certaine émotion sous-jacente liée avant tout à la condition même des fantômes, trouvant un écho tout particulier dans le lien pouvant nous unir à nos proches, et à toutes les personnes auxquelles nous sommes attachés.
L’approche reste très conceptuelle, un rien casse-gueule et sur la longueur inachevée, mais de la solitude du fantôme extrêmement pesante, des émotions exprimées par le simple jeu des formes sur le « regard » du fantôme à même le drap arrivent par moments à nous faire oublier ce trop-plein de froid.
À l’instar d’Arrival de Denis Villeneuve, A Ghost Story ressemble ainsi bien souvent à une vieille souche desséchée, de laquelle émane pourtant, de manière surprenante (peut-être contradictoire), un intense semblant de vie.
En définitive, l’ennui, c’est indéniable, guette. Le lâcher prise devant une approche cérébrale du mythe mal placée aussi. Sans compter l’incrédulité éprouvée plus souvent qu’autrement face à l’opacité du récit étalé…
… qui, pour peu que l’on accepte ses lourdeurs et daigne s’accrocher, n’a pourtant pas fini de hanter.
Pour une énième histoire de fantôme, ça ne manque pas de piquant, et n’était finalement vraiment pas gagné.
Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.