Une autre meneuse est Perchta , à l'origine une déesse de la végétation et de la fertilité. Elle possède plusieurs noms selon les régions : Berchta, Frau Holle. Elle est la déesse de l'hiver. Dans le folklore des Alpes (surtout le folklore bavarois, autrichien et suisse), Perchta est dite errer dans les campagnes durant l'hiver. Lorsque arrive la douzième nuit de la fête de Yule (autour du 31 décembre), elle entre dans les chaumières. Là, elle sait d'emblée si les enfants et les jeunes se sont bien conduits pendant la dernière année et s'ils ont bien travaillé. Elle se promène accompagnée des Perchten, créatures monstrueuses, symbolisant les forces démoniaques de l'hiver et des intempéries.
Le carnaval est encore présent dans plusieurs récits (Orderic Vitalis et Fauvel) par le gigantisme du meneur La tradition médiévale conservait en outre sous le nom de Garganeus la mémoire d'un géant mythique qui juxtaposait dans son apparence physique elle-même une figure carnassière et un oiseau. Dans le roman d'Aymon de Varennes intitulé Florimont, Garganeus (alias Gargantua) est décrit avec une tête de léopard (équivalent du trait canin) et un corps de guivre volant (oiseau). Ce gigantisme rapproche évidemment Garganeus de Hellequin.
Le christianisme a repris la figure du géant préchrétien à travers saint Christophe. Une prière qu'on lui adressait permettait d'éloigner «la malice des esprits» et la «malignité des tempêtes», c'est-à-dire la mesnie Hellequin. Christophe se présenterait ainsi comme l'anti-Hellequin : il avait une tête de chien ,croyait-on et on lui on lui sacrifiait un coq.. Christophe se trouve ainsi associé doublement au coq et au chien comme Hellequin
D'autres mascarades illustrent ce rapport et évoquent à la fois la chasse infernale, le charivari et le carnaval.. Ainsi jusqu'au 20ème existait en Cornouailles, la fête du « hobby horse » : un homme un homme portant sur la tête un masque de démon et tenant une armature en bois recouverte de tissu de couleur sombre, terminée par une petite tête de cheval, réunissait un cortège de compagnons la nuit du 1ere mai (Dans le duché de Kent, la troupe s'appelait Hooden Horse et sévissait la nuit de Noël).Le lendemain matin, la troupe défilait dans le village, chaque compagnon plus ou moins déguisé, tenant un instrument de musique et faisant un vacarme d'enfer ; précédant le Hobby Horse, un homme avec un masque de gnome et armé d'une massue ouvrait le cortège On peut constater une indéniable parenté entre ces cortèges et le charivari du Roman de Fauvel, et nous retrouvons dans ces traditions certains éléments de la Chasse infernale, les clochettes et le meneur armé d'une massue par exemple
L'ensemble des cultures a toujours vu dans les masques une incarnation des morts.(dans de nombreuse langues le même mot désigne masque et mort ,tel le latin larva masque et fantômes).aussi les fêtes des morts, ancêtres ou revenants sont accompagnées de sorties de masques. Les mascarades, à l'instar du carnaval prennent place à des dates précises liées aux équinoxes et aux solstices, aux débuts de l'année qui, selon les époques et les civilisations, tombent à des moments différents. Ces mascarades inaugurent un temps neuf ; chaque acte et chaque objet ont une raison fonctionnelle d'ordre magique : on expulse les forces mauvaises (celles de l'hiver) du temps passé et on appelle le temps nouveau auquel on veut donner force et vigueur. En Scandinavie elles se concentrent sur les Douze jours, la période de Noël et la Sainte-Lucie. En Lombardie, Vénétie et Piémont on va en cortège « brûler la Vieille » ce qui doit être rapproché de l'ancienne fête romaine d'Anna perenna qui tombait pendant les Ides de mars. Les romains célébraient les lares, les bons morts : on y dressait de tables pour les défunts . En France et en Allemagne ,existait le repas des fées table dressée pour dame Abonde, Percht ou les Parques . Dans certains textes, les fées étaient annoncées par le messager de la Mesnie Hellequin, ce qui souligne leur collusion avec les trépassés. « On dit aussi que Dame Holle commence à passer dans la période de Noël. C'est pourquoi les servantes font rénover leurs fuseaux ou y enroulent beaucoup de lin ou d'ouvrage et les laissent là durant la nuit. Si Dame Holla voit cela, on dit qu'elle déclare : "Autant de fils, autant de bonnes années »
Le mélange des traditions ne doit donc pas obscurcir le sens : les morts règnent sur la fertilité et la fécondité des hommes, du bétail et de la terre ; les fées et les destinées ont la même fonction. Les rituels qui tombent aux dates évoquées ont donc pour but d'expulser les morts nuisibles compris comme des démons et de se rendre favorables les autres trépassés, afin qu'ils contribuent au bien-être de tous au cours de l'année qui s'ouvre.
Le charivari de Fauvel est donc, lui aussi, un rite de fertilité (rite de 3ème fonction selon Dumézil) : le cortège bruyant et masqué appelle la fécondité sur le couple qui vient de se former. Il est donc pour ainsi dire normal qu'il mette en scène les puissances qui la régissent : les morts, et les destinées, symbolisées par l'engin de roues qui renvoie à Fortune. Les divers ustensiles — poêle, crochet, gril, pilon, pot, bassin — que portent les personnages masqués sont des instruments domestiques liés à la cuisine et à la nourriture qui ne doit pas manquer dans le nouveau foyer. Le mariage est non seulement un rite de passage mais aussi un nouveau début, le charivari prend donc place dans la liturgie des commencements.
Le rapport entre cohortes nocturnes et troisième fonction est très ancien, et c'est lui qui lie croyances, rites — mascarades, repas cultuel — et légendes. Les défunts ne sont jamais impuissants, ils continuent de se mêler des affaires des hommes et il faut compter avec eux. Ils ont coutume de se montrer aux dates où communiquent ici-bas et au-delà, instants qui sont déterminants pour la vie des hommes. La fête des Morts et le temps du carnaval sont communs à tous les peuples indo-européens avant la christianisation.
La présence de Hellequin s'explique ainsi : il représente les morts associés aux rites de troisième fonction, mais en même temps ce personnage a fait l'objet d'une « carnavalisation ». C'est le même processus qui fera d'Hellequin l'Arlecchino du théâtre italien. Devenu une figure popu-laire, il prend place dans les diableries accompagnant la représentation des mystères. Le manteau d'Arlequin désigne ainsi le rideau qui masque l'entrée de l'enfer, ou représente celui-ci sur la scène médiévale : une tête de diable y était peinte.
La récupération de la Mesnie Hellequin par le carnaval est aussi bien attestée outre-Rhin. Dans une farce de Christian August Vulpius, on aperçoit ceci dans le cortège carnavalesque :
« Derrière la queue du dragon se déchaînait l'Armée furieuse, des figures bien singulières : dotées de cornes, de becs, de queues, de griffes, de bosses, de longues oreilles, bruyantes et vociférantes, claquant, sifflant, sibilant, ronflant, bêlant et grondant, et derrière, sur un cheval noir et sauvage, Dame Holda, la sauvage chasseresse, sonnant du cor, brandissant un fouet qu'elle faisait claquer, secouant sa chevelure défaite... » CLAUDE LECOUTEUX OP.Cité.
Certains auteurs avaient marqué le rapport entre les récits de la cohorte infernale et le sabbat des sorcières :
« La mesnie Hellequin est une chevauchée aérienne comme celle des sorcières qui se rendent au sabbat sur leurs balais. Pour parler comme Burchard de Worms, on pourrait dire que le mesnie Hellequin, c'est la chevauchée de Di-Ane (de la déesse Ana), ou plus précisément encore de Di-ane-quin. C'est à nouveau le rite qui, comme souvent, permet de retrouver la convergence de trois motifs constitutifs du mythe livrés par le nom de Hellequin tel que nous avons pu le gloser: le coq et le chien d'une part, la figure du géant d'autre part.
Procès de sorcellerie: «Jeannette, veuve d'Hugues Brunier, a invoqué un diable nommé Brunet, qui est apparu sous forme d'un chien noir, puis d'un vieux nègre vêtu de drap noir, ayant la bouche rouge et fort laid, à qui elle sacrifiait une poule noire chaque premier mai»3.
La présence d'une date traditionnelle de sabbat (la nuit de Walpurgis, du 30 avril au 1er mai) signe le contexte mythique de ce rite de sorcellerie et vient associer opportunément la poule et le chien noirs à un personnage noir qui n'est autre qu'un avatar de Hellequin. On pourra rapprocher ce rituel d'une observation de Geza Roheim à propos de la sorcellerie. Il rappelle que les sorcières se tranforment souvent en oies pour aller au sabbat. En outre C. Ginzburg évoque le cas d'une sorcière conduite par un coq (mercurial) près du diable36. On connaît aussi le cas de la sorcière russe Baba Yaga qui possède une maison montée sur des pattes de poule.
On sait que la sorcellerie colporte une ancienne tradition mythique préchrétienne que le christianisme n'a pas voulu (ou pas pu) assimiler. On retrouve donc derrière ces croyances les vestiges souvent déformés des vieux rites et mythes préchrétiens. On ne s'étonnera pas d'y retrouver la tradition de Hellequin. La mesnie Hellequin est une chevauchée de sorcières (ou de sorciers).
On ne retrouve pas le chien dans cet autre témoignage dauphinois de désenvoûtement mais les rites respectent la même ordonnance que précédemment, avec un accent particulier porté sur la poule noire:
«Menez la Loyuze au carrefour des quatre chemins; qu'un homme très fort la maintienne en posant son pied sur le sien; qu'il tienne en même temps une poule noire; et la pauvre fille sera désensorcelée». Philippe Walter.Hellequin, Hannequin Dans Le Mythe De La Chasse Sauvage Dans L'europe Médiévale.
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« Evoquer les traces, c'est se référer à ce qui subsiste d'un passé. Ces survivances, ces vestiges, ces ruines, peuvent témoigner d'un climat, d'un événement, d'une filiation, d'une activité humaine, d'une culture. Ces traces ont toujours intéressé les hommes dans la mesure où elles matérialisent ce qui a disparu, lui donnent une image, permettent de se le représenter, de l'étudier, de se souvenir, de commémorer, de montrer une évolution en remontant le temps.... ...Dans certains cas, des gens demeurent totalement invisibles au sens où ils n'ont rien laissé comme inscription dans le temps Afin de retrouver la trace de cette culture populaire, Ginzburg recherche le « détail révélateur », l'indice, en pratiquant « l'histoire au ras du sol » avec variation des échelles pour passer à « l'analyse rapprochée de type microscopique » qui repère des « traces infinitésimales et qui permettent de saisir une réalité plus profonde..." Jean-Yves Boursier , « La mémoire comme trace des possibles », Socio-anthropologie
Fort de cette expérience, l'auteur entreprend une longue chasse sur la trace d'éléments qui s'intègrent mal au stéréotype du sabbat, comme les voyages extatiques à la suite d'une divinité féminine, les combats en extase, les déguisements sous forme d'animaux, les batailles rituelles de fécondité, les apparitions des morts, bref toutes ces anomalies qui, pour l'historien, sont autant d'indices et de pistes à suivre. Au terme de ce long voyage à travers le continent eurasiatique et à travers le temps, il aboutit à la conclusion que tous ces thèmes mal camouflés par la sorcellerie diabolique se rattachent à un même contexte religieux, bien connu des ethnologues, celui du chamanisme sibérien.
L'auteur émet donc l'hypothèse que, derrière la sorcellerie diabolique, se cachent d'anciens rituels chamaniques rendus à des divinités funéraires et fécondantes. Une vertigineuse remontée nous entraine alors dans le temps à travers les sources littéraires et archéologiques, et aboutit ainsi aux confins de notre histoire, dans les steppes du nord de la mer Noire. C'est là que, chassés du plateau iranien par les Perses, vers les 8e-7e siècles av. J.-C. s'installent les Scythes, un peuple nomade qui a noué des contacts avec les populations mongoles. Les Scythes transmettent leurs cultes extatiques aux Celtes et aux Grecs, leurs voisins, qui leur empruntent ainsi la divinité de la chasse, fécondante et funéraire (!'Artémis grecque, la Diane romaine, les Mères celtiques) et des héros mythologiques dont les récits rappellent étrangement les voyages initiatiques des chamanes sibériens (Œdipe, Dionysos, Thésée).on va ainsi vite retrouver bien des aspects de la chasse sauvage.
Le stéréotype du sabbat représente donc la fusion de deux images distinctes. La première, élaborée par la culture savante (juges, inquisiteurs, démonologues) était centrée sur la croyance en une secte hostile, inspirée par le diable, dans laquelle on entrait après avoir renoncé à la foi et profané la croix et les sacrements. La seconde, enracinée dans la culture folklorique, reposait sur la croyance en d'extraordinaires capacités d'individus déterminés, hommes et femmes, qui rejoignaient en extase, souvent sous forme d'animaux ou à cheval sur des animaux, le monde des morts, afin de procurer prospérité à la communauté
« En proposant la notion de « représentation claire » (comme alternative aux explications génétiques de Frazer, Wittgenstein souligne la nécessité de trouver des « connexions intermédiaires ». Dans notre cas, ceci implique l'adoption d'un point de vue résolument comparatiste. Pour les Benandanti « funèbres » qui assistent en rêve aux processions des morts, deux enchaînements ou parentés sautent aux yeux immédiatement. D'un côté, avec les témoignages axés sur le mythe de l'armée sauvage ou furieuse () ou sur la troupe des morts, guidée généralement par une divinité masculine : Herlechinus, Odin, Hérode, Artus, etc. De l'autre, avec les témoignages (surtout le fameux Canon Episcopi) sur les femmes qui rêvent de voler la nuit, à cheval sur des animaux, à la suite de Diane «, ou d'autres divinités féminines (Holda, Perchta, Hérodiade, etc.).
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UNE SURVIVANCE DU CORTEGE FANTASTIQUE ? : LA RONDEDES MOTARD QUI MARQUENT LA FIN DE ROMA DE FELLINI
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