Une anecdote témoigne de l’époque. Avant le départ de cette édition incertaine, Jean Robic osa une promesse à celle qui venait de devenir son épouse. «Je suis pauvre, le Tour sera mon cadeau de mariage!», lui déclara-t-il à la mairie. Robic, escaladeur de poche plutôt disgracieux, allait tenir son serment malgré un parcours semé d’embûches, de coups tordus et des drames en pagaille. Le Tour de la France libre n’était-il pas destiné à René Vietto, deuxième en 1939, le dernier avant l’occupation? Notre Vietto, aimé et adulé, qui avait perdu injustement l’édition de 1934 et dont l’aura avait été renforcée par les épisodes dramatiques de la Résistance, lui qui ne cachait pas ses sympathies communistes et qui fut longtemps le chroniqueur de l’Humanité, qui l’appelait «notre camarade». Mais en 1947, il ne termina que cinquième après avoir porté le maillot jaune durant dix jours. Et Jean Robic lui ravit cette parcelle de gloire bien méritée. «On s’est toujours moqué de Robic, explique Christian Laborde. Même l’équipe de France n’avait pas voulu de lui et il avait été sélectionné dans l’équipe de l’Ouest, lui le Breton d’origine. Tous ignoraient la promesse de Robic, sa ténacité, son endurance, les talents incroyables de grimpeur de ce vilain petit canard des cycles qui, du haut de son 1,61 m, a dicté sa loi à tous les héros sur les routes défoncées d'un pays en ruines.» Hier soir, à l’invitation de Christian Laborde, le chronicoeur erra dans les rues de Pau. Car l’écrivain est également l’un des organisateurs de «La pente est peinte», une fresque éphémère réalisée par dix étudiants de l’École supérieure d’art des Pyrénées. Sur l’avenue Napoléon Bonaparte, d’où les coureurs s’élanceront ce jeudi, ont été tracés les noms des 59 vainqueurs d’étape dans la cité paloise. Le Tour a de la mémoire.
(1) Il était né en 1921 et mort en 1980, dans un accident de la route.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 13 juillet 2017.]