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A Pau, la mémoire de Robic pour tout horizon

Publié le 12 juillet 2017 par Jean-Emmanuel Ducoin
Dans la onzième étape, entre Eymet et Pau (203,5 km), victoire au sprint de l’Allemand Marcel Kittel (QST). L’arrivée dans la cité paloise était l’occasion de rendre hommage à Jean Robic, vainqueur ici-même d’une étape dans le seul Tour qu’il remporta, en 1947…
A Pau, la mémoire de Robic pour tout horizonPau (Pyrénées-Atlantiques), envoyé spécial. Lorsqu’il visite l’une de ces villes ayant le privilège de l’accueillir comme l’un de ses fils putatifs, le Tour continue de nous troubler parce qu’il nous parle d’un pays proche et d’un monde lointain. Le pays proche, nous l’avons sous les yeux quotidiennement. Le monde lointain, nous le possédons quelque part dans l’un des cortex de notre cerveau, il nous parle de mélancolie historique autant que géographique, nous l’appelons «mémoire». Elle puise son énergie, une fois l’an, de ses anciennes provinces, forte de l’exemplarité de ses rites et coutumes, et de ces cités qui continuent d’honorer sa légende. Hier, Pau a reçu la Grande Boucle pour la soixante-dixième fois. Sur les coins de rue, amassée, la foule des habitués comme celle des ingénus racontait les annales de la France plurielle, heureuse de se regarder passer elle-même. Aussi, quand tout au fond de la rue Michelet, avant d’atterrir à folle allure devant la place de Verdun, l’Allemand Marcel Kittel (QST) remporta sa cinquième étape, nous pensions follement à l’onirisme de cette course qui forgea des destins insensés dont nous nous transmettons, d’une génération à l’autre, le brûlant souvenir. En rêvassant devant le palais Beaumont, où se situait la salle de presse, le chronicoeur crut ainsi voir pour tout horizon l’ombre portée d’un des fils privilégiés du Tour, vainqueur d’étape précisément à Pau en 1947 (un 13 juillet!), et surtout vainqueur de l’épreuve la même année: Jean Robic (1).  A cette évocation, il nous fallut croiser le chemin de l’écrivain et enfant du pays, l’ami Christian Laborde, familier de la Fête de l’Humanité, grand connaisseur de la petite-reine et des personnages tutélaires qui composent sa constellation. Et puisqu’avec les littérateurs du Tour il n’y a jamais de hasard, ce conteur de mots à l’accent emprunté à Nougaro (il était son ami) vient de publier «Robic 47», aux éditions du Rocher. Il y narre, sous un mode intime, un monde qu’on croyait dissolu. Si Laborde a acquis l’art cycliste dans la cuisine de son enfance, à Aureilhan, près de Tarbes, où il découvrit les épopées de la bouche de son père, il partait chaque juillet, en famille, dans les cols pyrénéens, pour y applaudir Anquetil ou Poulidor, Bahamontes ou Gaul. La passion, conjuguée à la plume d’orfèvre, fut donc taillée dès l’adolescence. «J’ai toujours été hanté par le Tour 1947, et par son vainqueur, dont le nom claque en deux syllabes dans notre patrimoine, Robic. Il faut bien articuler, Ro-bic!», raconte l’écrivain. «Ce Tour 47 est inoubliable, d’abord parce qu’il concerne notre cher et vieux pays: c’est le premier Tour d’après-guerre, le Tour de la France libérée. Et Robic ressemble à la France de l’époque. Il est aussi cabossé qu'elle, il a vécu l'exode, connu le rationnement, il s'est caché pour échapper au STO, il a renseigné la Résistance. Il a été un héros français avant de devenir un héros sur le vélo.» 
 Une anecdote témoigne de l’époque. Avant le départ de cette édition incertaine, Jean Robic osa une promesse à celle qui venait de devenir son épouse. «Je suis pauvre, le Tour sera mon cadeau de mariage!», lui déclara-t-il à la mairie. Robic, escaladeur de poche plutôt disgracieux, allait tenir son serment malgré un parcours semé d’embûches, de coups tordus et des drames en pagaille. Le Tour de la France libre n’était-il pas destiné à René Vietto, deuxième en 1939, le dernier avant l’occupation? Notre Vietto, aimé et adulé, qui avait perdu injustement l’édition de 1934 et dont l’aura avait été renforcée par les épisodes dramatiques de la Résistance, lui qui ne cachait pas ses sympathies communistes et qui fut longtemps le chroniqueur de l’Humanité, qui l’appelait «notre camarade». Mais en 1947, il ne termina que cinquième après avoir porté le maillot jaune durant dix jours. Et Jean Robic lui ravit cette parcelle de gloire bien méritée. «On s’est toujours moqué de Robic, explique Christian Laborde. Même l’équipe de France n’avait pas voulu de lui et il avait été sélectionné dans l’équipe de l’Ouest, lui le Breton d’origine. Tous ignoraient la promesse de Robic, sa ténacité, son endurance, les talents incroyables de grimpeur de ce vilain petit canard des cycles qui, du haut de son 1,61 m, a dicté sa loi à tous les héros sur les routes défoncées d'un pays en ruines.» Hier soir, à l’invitation de Christian Laborde, le chronicoeur erra dans les rues de Pau. Car l’écrivain est également l’un des organisateurs de «La pente est peinte», une fresque éphémère réalisée par dix étudiants de l’École supérieure d’art des Pyrénées. Sur l’avenue Napoléon Bonaparte, d’où les coureurs s’élanceront ce jeudi, ont été tracés les noms des 59 vainqueurs d’étape dans la cité paloise. Le Tour a de la mémoire.
(1) Il était né en 1921 et mort en 1980, dans un accident de la route.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 13 juillet 2017.]

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