Pourquoi changer ce qui fonctionne ?

Publié le 12 juillet 2017 par Patriceb @cestpasmonidee
Tandis que l'un de ses 5 (!) cœurs bancaires informatiques vient de fêter son quarantième anniversaire, le DSI de la banque australienne ANZ affirme que, les systèmes existants fonctionnant parfaitement, il ne voit pas la nécessité de se lancer dans un coûteux chantier de modernisation. Une vision partagée par nombre de ses confrères…
Il est vrai que le raisonnement est a priori imparable : il est difficile de justifier un investissement – qui se mesurerait en milliards de dollars, sans parler des risques qu'induirait un renouvellement – tant que la plate-forme actuelle peut être maintenue en conditions opérationnelles et qu'elle ne handicape pas la capacité de la banque à mener sa transformation « digitale ». Que les principales concurrentes d'ANZ, CommBank et NAB, l'aient fait et en tirent des bénéfices visibles ne constitue par un argument suffisant.
Cette position résiste toutefois assez mal à une analyse objective. Ainsi, comme le souligne Chris Skinner, la pérennité des logiciels en cause est hautement discutable. Si, aujourd'hui, les fournisseurs de ces composants sont ravis d'en assurer le support, ils jouissent de la sorte d'un pouvoir absolu sur leurs clients, notamment sur le prix de leurs services, et, surtout, ils n'en sont pas moins soumis aux effets de l'obsolescence des technologies sous-jacentes, dont la pénurie de compétences.
Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle l'approche d'ANZ (et des autres banques qui suivent une voie similaire) pourrait s'avérer extrêmement dangereuse pour sa survie. Pour le comprendre, il faut aussi prendre en compte quelques paramètres supplémentaires, tels que le nombre d'applications et logiciels divers déployés (2 500 !), dont une bonne partie est redondante, ou le commentaire du COO selon lequel les systèmes cœurs devront tout de même, un jour (plus tard…), être remplacés.
Les dirigeants ne sont donc pas totalement aveugles face à la situation et ils sont conscients que, à terme, l'entreprise devra franchir le pas. Dès lors, leurs justifications résonnent plus comme des excuses et peut-être le problème de fond est-il simplement un manque de courage associé à l'espoir qu'un autre (futur) responsable assumera la charge à leur place. Malheureusement, cette stratégie a bien peu de chances de réussir, en particulier parce que le niveau de risque ne fait que croître exponentiellement.
En effet, ce qui rend difficile (et prohibitif) une rénovation des cœurs bancaires n'est pas tant la mise en place d'un nouveau système que son intégration dans l'environnement existant. Par essence, (presque) toutes les applications de la banque en dépendent, les 2 500 déjà recensées auxquelles viennent s'ajouter régulièrement celles qu'exige la révolution « digitale ». La pression grandissante qu'elles exercent sur des plates-formes qui n'ont pas été conçues pour une telle charge amène à la multiplication de moyens palliatifs, qui fragilisent l'ensemble, aussi modulaire paraisse-t-il au premier abord.
Que le remplacement du cœur de système ne soit pas une entreprise à prendre à la légère est une évidence. En revanche, que les banques qui ne l'ont pas déjà fait ne s'y préparent pas activement, maintenant, est une faute. La première étape (hélas rarement menée avec la rigueur nécessaire) consiste à effectuer un recensement exhaustif de l'existant et de ses interdépendances. Viendra ensuite une phase indispensable de rationalisation : inutile d'embarquer un excédent de bagages dans la transformation.
Alors, seulement, sera-t-il temps d'organiser le renouvellement. Naturellement, pendant ce temps, la vie ne s'arrête pas et les nouvelles applications devront être intégrées en permanence dans le plan (et conduire, potentiellement, à des décommissionnements supplémentaires). En prenant du recul, on perçoit mieux l'ampleur de la tâche, ainsi que sa tendance inéluctable à se complexifier avec le temps. En conséquence, même si le chantier ne semble pas urgent à certains, il devrait déjà avoir commencé