Archiduchesse d’Autriche, Impératrice des Français puis enfin duchesse de Parme, Marie-Louise reste l’un des protagonistes de l’épopée napoléonienne qui suscite le plus de controverses.
Les inconditionnels de Napoléon l’accusent d’avoir abandonné le grand homme à son triste exil sur l’île d’Elbe.
Plus grave encore, ils lui reprochent d’avoir laissé mourir son fils à Schönbrunn sans le moindre scrupule.
Si l’histoire de sa vie restera à jamais liée à celle de Napoléon, n’oublions pas que derrière « l’épouse de l’Empereur » se cache une femme. Une femme sensible et fière, consciente de ses devoirs et bien moins sotte que la légende a voulu nous le faire croire.
Une femme à laquelle Charles-Éloi Vial rend justice dans cette biographie magistrale qui s’attache à restituer la vie hors du commun d’une princesse entraînée dans le tourbillon de la politique.
Procurez-vous « Marie-Louise » de Charles-Éloi Vial !
Marie-Louise l’année de son mariage, par le baron Gérard (Musée du Louvre)
L’enfance viennoise
La jeunesse de Marie-Louise est sans doute l’une des périodes les plus heureuses de son existence. Le lecteur découvre une petite princesse vivante et gaie, très cultivée et déjà artiste. Profondément attachée à son père, à sa belle-mère et à ses nombreux frères et sœurs, elle voue à sa famille un amour sacré qui sera mis à mal au fil des ans et des épreuves, mais qui se retrouvera dans le cocon familial qu’elle-même s’efforcera tant bien que mal de construire.
Son enfance est aussi rythmée par les incessantes guerres napoléoniennes. Obligée de fuir par deux fois ses palais sous l’avancée des troupes ennemies, Marie-Louise apprend à haïr l’homme qu’elle considère comme l’oppresseur de son pays. L’abnégation dont la jeune fille fait preuve lorsqu’elle apprend qu’elle pourrait devenir la future épouse de l’Ogre corse laisse admiratif :
Mais si le malheur voulait, je suis prête à sacrifier mon bonheur particulier au bien de l’État, persuadé que l’on ne trouve la vraie félicité que dans l’accomplissement de ses devoirs, même au préjudice de ses inclinations.
Consciente qu’elle ne peut se dérober à ses devoirs sans porter préjudice à son père qu’elle vénère, Marie-Louise accepte le sacrifice et épouse Napoléon en 1810.
Épouse affectueuse et mère attentive
Marie-Louise avec Napoléon lors de son arrivée à Compiègne, par Pauline Auzou (Collection du château de Versailles)
Il est fascinant de découvrir à quel point Marie-Louise est tombée sous le charme de celui qu’on lui a appris durant toute son enfance à honnir du plus profond de son âme. Le lecteur suit le quotidien d’un couple qui, sans les guerres qui conduiront au drame final, aurait pu s’épanouir dans une vie familiale stable et heureuse.
Marie-Louise s’attache tant à son époux qu’elle est victime de crises de jalousie bien légitimes lorsque Napoléon rend visite à Joséphine. L’auteur décrit quelques scènes de ménage tout à fait étonnantes entre l’Impératrice et son mari, tout penaud d’avoir mis en colère sa chère épouse !
On entrevoit aussi Marie-Louise excellente cavalière, partant parfois chasser à l’aube en compagnie de Napoléon. L’Empereur donne en personne des leçons d’équitation à sa toute jeune femme, ravi de ses progrès fulgurants.
En 1811, lorsque Marie-Louise est séparée pour la première fois de son mari pendant plusieurs semaines, elle se languit de son absence :
Elle se promenait dans le jardin le long des fenêtres fermées de l’appartement de l’Empereur, jouait des heures avec son fils avant de prendre la plume, enflammée à la lecture de quelque roman, pour déclarer à son époux qu’elle était prête à fuir « déguisée en page » afin de le rejoindre en secret.
Après avoir prouvé que Marie-Louise fut une bonne épouse, Charles-Éloi Vial s’attaque à un cliché encore plus difficile à abattre, celui de la mauvaise mère. La naissance du Roi de Rome est pour la jeune femme une vraie bénédiction. Elle s’attache immédiatement au bébé, qui malheureusement ne lui appartient déjà plus.
Marie-Louise aurait voulu prendre davantage soin de son fils. Elle avait songé à le nourrir elle-même, avant d’en être dissuadée par sa belle-mère, qui lui rappela que l’allaitement serait peu compatible avec les devoirs d’une souveraine et les incessants voyages et chasses auxquels la Cour était habituée (…) A peine né, le petit Roi fut donc soustrait à l’affection de Marie-Louise, qui dut s’y résigner.
Une éducation strictement encadrée par une armada de précepteurs et de domestiques… Ce qui n’empêche pas Marie-Louise d’aimer son fils, de s’enquérir de ses progrès, de ses soucis de santé, et de passer dès qu’elle en a l’occasion du temps avec lui. Les nombreuses anecdotes de l’auteur le prouvent.
En tout point conforme aux attentes
Napoléon lui-même l’avouera à Sainte-Hélène, alors qu’il aurait pu lui tenir rigueur de ne pas être venue le rejoindre à l’île d’Elbe et d’avoir refait sa vie : Marie-Louise lui a toujours donné satisfaction et s’est toujours comportée selon ses attentes. Il n’a rien à lui reprocher. Les autres s’en chargeront à sa place…
Charles-Éloi Vial nous conte des détails croustillants jamais dévoilés. Le jour du couronnement de Marie-Louise, de nombreux contemporains décrivent son visage crispé et son allure un peu gauche, en déduisant bêtement qu’elle ne sera pas à la hauteur de sa tâche. En réalité, elle souffre de ses dents de sagesse, et est entravée dans ses mouvements par des bottines et des sous-vêtements trop petits, ses mensurations ayant été mal prises !
Si la tante de l’Impératrice, Marie-Antoinette, avait été surnommée « l’Autrichienne », les français ne peuvent que se louer du patriotisme de Marie-Louise. Son assimilation dans son nouveau royaume est en effet une réussite totale. Elle devient tellement française qu’on la voit se réjouir des victoires de son époux contre les troupes de son propre père !
Elle se soumet aux contraintes de l’étiquette, qui lui pèsent pourtant énormément. Mais à l’inverse de ce que la biographie de Marie-Louise par Geneviève Chastenet laissait entendre, l’Impératrice est loin d’avoir été séquestrée par son époux dans ses appartements comme une petite fille.
Marie-Louise veillant sur le sommeil du roi de Rome, par Joseph Franque en 1811 (Collection du château de Versailles)
Contrairement à Joséphine, Marie-Louise représente la crème des plus prestigieuses dynasties européennes, et Napoléon se doit en conséquence d’entourer son épouse d’une cour fastueuse. L’étiquette stricte et immuable qu’il instaure doit tenir en respect tous les courtisans d’Empire issus d’une noblesse tellement récente que les principes monarchiques leur sont totalement étrangers.
C’est aussi l’époque où l’Impératrice, dont la santé n’est pas encore détraquée, fait montre d’une énergie débordante. Elle suit jusqu’à l’épuisement son époux dans les voyages qu’il entreprend aux quatre coins de l’Empire : Marie-Louise doit être exhibée aux peuples pour témoigner de la stabilité monarchique.
L’auteur s’attarde sur les Régences fort bien menées par Marie-Louise : elles lui valent les louanges de l’Empereur en personne. En contact presque constant avec Napoléon, l’Impératrice est bien souvent mieux informée que les ministres. Elle sait prendre des décisions énergiques, se mettre au travail et déléguer quand les tâches sont au-dessus de ses compétences. Elle effectue ainsi un véritable labeur de chef d’état, très formateur. Charles-Éloi Vial ne manque pas de relever que l’Impératrice doit faire face à d’immenses responsabilités, alors qu’elle est encore très jeune et inexpérimentée. Un poids certain qui n’a jamais pesé sur Joséphine.
L’année où tout bascule…
On a du mal à comprendre aujourd’hui la situation intenable de Marie-Louise en 1814. Elle se sent trahie par son propre père, l’homme qu’elle aime pourtant le plus au monde. La voilà comme sacrifiée une deuxième fois aux intérêts politique ! Elle commence donc par s’accrocher au pouvoir de toutes ses forces.
Contrairement à ce que les partisans de Napoléon continent à affirmer, Marie-Louise n’a pas lâchement abandonné l’Empereur. Déchirée entre le respect qu’elle voue à son père, la conscience de ses devoirs de souveraine et le profond attachement qu’elle voue à son mari et à son fils, la toute jeune femme de 23 ans sombre dans la dépression pendant plusieurs mois. Le refus formel de son père, qui lui interdit de rejoindre Napoléon à l’île d’Elbe malgré ses innombrables supplications, l’anéantit. On découvre alors une Marie-Louise conspiratrice, capable d’échafauder des plans pour échapper à la vigilance des espions de son père, cherchant par tous les moyens à rejoindre Napoléon sans y parvenir.
Ce n’est que plus tard, lors de l’ouverture du Congrès de Vienne qui décide du sort de l’Europe, qu’elle commence à reprendre ses esprits et à réfléchir. Fine mouche, elle comprend qu’elle ne pourra sauvegarder les intérêts de son fils si elle persiste dans la manifestation de sa fidélité à l’Empereur déchu. Et puis, il faut bien le dire, le temps et surtout l’amour font leurs œuvres ! Peut-on vraiment le lui reprocher ? Marie-Louise tombe en effet sous le charme du comte de Neipperg, et comprend alors ce qu’est la passion, la vraie. Les rumeurs d’infidélités de Napoléon, qui passe notamment une nuit avec Marie Waleska à l’île d’Elbe, contribuent à la détacher définitivement de Bonaparte.
Une fois sa décision prise, elle rompt tout contact avec son mari, ne répond plus à ses lettres et n’aspire qu’à rejoindre le duché de Parme qu’elle s’est battue pour obtenir. Elle désapprouve même violemment le Cents-Jours, et refuse de regagner la France malgré les injonctions de l’Empereur qui souhaite la voir reprendre sa place d’épouse et de mère auprès de lui. Cette constance dans la résolution de ne plus entrer en contact avec les Bonaparte revêt une forme de courage. Pour l’intérêt de son enfant, elle est prête à tout.
L’auteur nous dévoile ainsi une femme capable de retourner la situation en sa faveur, en faisant croire qu’elle se laisse manipuler. C’est en réalité elle qui décide de son destin, elle qui choisit de privilégier l’Autriche à la France, elle qui décide de se battre jusqu’au bout pour obtenir la principauté de Parme et offrir à son fils une vie digne de son rang à Vienne, plutôt que de le voir mis au banc des nations comme l’a été son père.
Duchesse de Parme engagée
Ce portrait a été peint tardivement par Giovan Battista Borghesi en 1839 : le peintre rajeunit de 10 ans Marie-Louise et la représente quand elle gouvernait le duché de Parme avec Neipperg (Galerie nationale de Parme)
Enfin une biographie qui fait la part belle à la vie de Marie-Louise à Parme. Transformée par l’amour, laissant libre cours à son naturel créatif, elle mène une vie de famille paisible avec l’amour de sa vie, dont elle a deux enfants.
Pourtant, même si elle se reconnaissait davantage dans les enfants issus de son second mariage, ils ne lui firent jamais oublier son premier-né. Elle les aima tous autant, à sa façon : à distance pour Franz, et en secret pour Guillaume et Albertine, qu’elle n’avait pas officiellement reconnus. Tout le duché se doutait pourtant de l’existence de cette progéniture clandestine, dont l’existence ne choquait guère les Parmesans, pour qui la souveraine n’en devient que « plus chère, parce que plus humaine »
Elle reste populaire jusqu’à la fin de sa vie dans son duché, qu’elle administre en véritable chef d’État, secondée par Neipperg. Ce faisant, elle maintient jusqu’à sa mort une forme de stabilité dans sa principauté, alors que les tensions politiques secouent l’Italie, qui cherche à se libérer du joug de l’Autriche.
L’une des plus graves accusations portées contre Marie-Louise est celle d’avoir abandonné son premier-né et de l’avoir laissé mourir à Schönbrunn. Comme si elle était responsable de la tuberculose qui le rongeait !
Certes, elle le laisse à Vienne pour aller mener sa nouvelle vie à Parme, mais on oublie qu’elle n’a alors pas vraiment le choix. Son père lui interdit formellement d’emmener le roi de Rome dans son duché. Aurait-elle du craindre de laisser son fils aux bons soins de sa propre famille ? Elle le sait entouré d’amour. Elle demande fréquemment de ses nouvelles, échange avec lui une abondante correspondance et vient le voir dès que sa santé et les impératifs politiques le lui permettent.
Si elle n’accourt pas plus rapidement à l’annonce de sa maladie, c’est qu’elle croit alors fermement qu’il s’agit d’une affliction bénigne et qu’il va se remettre rapidement : c’est ce que les médecins lui assurent. Quand elle comprend que la maladie est en train de l’emporter, elle tombe des nues, et brûle toutes les étapes du voyage pour le rejoindre au plus vite. Elle est à ses côtés lorsqu’il rend son dernier soupir. Cette mort l’affecte profondément et durablement.
Une autre mort, celle de Neipperg, annonce des années plus sombres durant lesquelles Marie-Louise, prématurément vieillie et usée par les épreuves, retrouve un peu goût à la vie en contractant une troisième union avec le comte de Bombelles. Il l’aime passionnément jusqu’à sa mort en 1847.
Voici de loin l’une des meilleures biographies sur un personnage de l’Empire, depuis le Joseph Bonaparte de Thierry Lentz, que je ne saurais trop vous recommander. Un ouvrage qui fait voler en éclats bien des préjugés !
∫∫ Ce qu’il faut retenir ! ∫∫
Procurez-vous « Marie-Louise » de Charles-Éloi Vial !
Points positifs
♥ Une biographie qui prend le contrepied de tous les clichés habituellement véhiculés sur Marie-Louise, sans occulter les défauts du personnage.
♥ Des recherches très poussées et l’usage de sources inexploitées, qui mettent en lumière ce personnage très mystérieux.
♥ Une foule d’anecdotes encore jamais dévoilées sur la vie de Marie-Louise avec Napoléon et ses attentions en tant que mère.
♥ Rend justice à l’intelligence politique de la princesse, en s’attardant sur ses Régences, mais aussi sur sa capacité à retourner toutes les situations en sa faveur.
♥ Une grande partie consacrée à la vie de Marie-Louise à Parme, véritable renouveau pour la duchesse.
Points négatifs
♠ J’attends vos retours !