Le comic américain ne cesse d'inspirer nos auteurs du vieux continent. En effet, nombreux sont les auteurs utilisant ce format pour publier leurs créations. À l'instar de l'initiative Infinity 8, les auteurs ont choisi de sortir leur série dans l'univers de Mutafukaz sous forme de fascicule mensuel.
Cette série en 6 tomes dépeignant la vie difficile d'un jeune à l'âge adulte met en lumière un sujet peu abordé en bande dessinée, l'univers carcéral et la place des jeunes condamnés dans celui-ci. Run, déjà à l'origine de Mutafukaz collabore pour cette série avec Neyef, un dessinateur de talent avec qui il avait déjà travaillé sur DoggyBags. Ce duo expérimenté livre un récit unique sortant clairement des sentiers battus.
L'histoire en deux mots :
Dans une petite ville perdue au sud de la Californie vit Jésus, un petit garçon solitaire qui tente de grandir tant bien que mal dans un environnement difficile où il côtoie pauvreté et abandon. Il partage son quotidien avec sa mère et son jeune frère Pico. À ce schéma familial va s'ajouter Spooky, un ami imaginaire et terrifiant, fruit de l'imagination du garçonnet pour répondre à sa solitude. Un ami allégorique reflétant la noirceur latente de Jésus le poussant à des actes répréhensibles. Un jour, à la suite d'un accident domestique, son jeune frère perd la vie et tous les éléments mettent en cause Jésus. Le jeune garçon se retrouve alors confronté à la justice, et accusé comme un adulte pour crime de sang. Pour ces lourdes inculpations, il encourt la prison à vie, et pour d'éviter cela il n'a d'autre alternative que de plaider coupable en comparution immédiate. Après un procès bâclé, le jeune garçon se retrouve incarcéré pour sept ans dans une prison voisine.
À l'instant où Jésus franchit l'enceinte de la prison, il sait qu'il devra faire face à des dangers pires que ses cauchemars les plus terribles et oublier son enfance pour devenir un homme rapidement dans ce lieu ou règnent danger et violence.
Le dessin :
Neyef livre un album graphiquement parfait, son style colle avec l'ambiance de l'album. Il parvient de façon remarquable à créer une atmosphère graphique unique s'articulant autour de cette histoire glauque et tourmentée. En effet, le dessinateur s'est particulièrement appliqué sur l'élaboration de ses personnages. Que ce soit à travers l'aspect patibulaire des détenus ou le caractère dérangeant de Spooky, chacun de ces derniers dégage un charisme hors du commun.
Cette réalisation minutieuse des protagonistes, qu'ils soient principaux ou secondaires, donne à l'album un cachet étonnant et renforce ainsi la richesse de ce volume. Neyef ne se contente pas uniquement de créer des personnages uniques, il parvient avec talent à les faire évoluer dans des environnements parfaitement retranscrits, apportant ainsi un surplus de crédibilité à l'album.
La mise en couleur n'est pas en reste, elle contribue à la réussite graphique de ce fascicule. Cette dernière est particulièrement efficace dans certaines scènes de tensions mettant en exergue le danger ou les émotions des acteurs du récit. Le découpage de tome est particulièrement réussi et apporte un cachet presque cinématographique au séquençage des cases, renforçant ainsi l'ambiance unique du tome, et notamment dans les scènes d'action. Neyef parvient avec adresse à livrer un album remarquable avec un style hors du commun et original collant à merveille à cette histoire à la fois haletante et perturbante.
Le scénario :
Cet album a beau être dérivé d'un univers existant, le scénariste livre un scénario sensationnel qui fait de Puta Madre une série hors du commun, avec son scénario comme grande force.
Run a su créer une histoire riche autour d'un personnage atypique et charismatique, sur un sujet rarement traité dans le neuvième art. En effet, il décrit avec beaucoup de justesse le milieu carcéral et ses dangers, ses rites initiatiques et les diverses populations qui le peuplent. Ces diverses descriptions apportent une densité phénoménale à l'intrigue et immergent ainsi davantage le lecteur, le tenant en haleine à chaque page.
À l'instar de son dessinateur qui retranscrit à merveille les émotions des personnages par son trait, Run a su construire des protagonistes d'une grande richesse à travers leurs vécus ou leurs personnalités. Ces derniers apportent une immersion supplémentaire au récit s'ajoutant aux indéniables qualités du tome. On peut l'observer à travers le personnage de Jésus et son parcours. En effet, il a su décrire sa fragilité infantile, mais aussi son adaptation progressive au climat hostile qui l'entoure. De plus, cette réussite dans l'élaboration du héros de l'histoire permet un attachement rapide à ce dernier.
Le choix du chapitrage pour coller au modèle de publication américaine est une excellente idée car il permet au lecteur de faire une pause dans ce récit particulièrement dense. Néanmoins Run, ne s'est pas contenté d'utiliser cette coupure dans l'album pour y inclure de belle illustration. Il a choisi à bon escient d'y incorporer des articles traitant du système judiciaire américain ou sort des enfants prisonniers et consiste par ce biais un excellent complément d'information. Run est en terrain connu avec Puta Madre car il est le créateur de l'univers dont il découle et cette aisance se ressent dans la lecture tant le scénario est bien construit.
Puta Madre est une série hors du commun qui démarre sur les chapeaux de roues grâce à un scénario d'une grande qualité servi par un dessin somptueux. Cet album dérangeant n'est pas à mettre entre toutes les mains avec son thème difficile. Mais il est à faire découvrir absolument à tous les fans de comics et de bande dessinée désirant lire une histoire pas comme les autres qui saura les surprendre à chaque page