Le fabricant américain d'armes Remington fabriquait aussi des machines à écrire qui portaient son nom. Dans le roman de Christophe Ségas, c'est un spécimen d'une de ces machines mythiques qui tient la vedette et survit à tout le récit.
Au temps de l'Histoire-Jadis, sommet moral et technique de l'humanité, on vivait bien mieux qu'après le Flash, la Césure, le Klash, ou le Reset... Le laissent penser les quatre récits écrits sur cette Remington, 180 à 200 ans après la solution de continuité.
Car le récit est tapuscrit sur elle, à quatre paires de mains, celles d'un archéologue, Sill, d'un artiste-peintre, Arbuss Thomas, d'un joueur de banjo, Simon, et d'un chroniqueur anonyme. Lesquels se passent ce témoin et l'utilisent pour mémoire.
Dans ce futur indéfini, Sill imagine l'âge d'or qu'a donc dû être la civilisation d'avant leur ère. Ainsi, en 183, s'extasie-t-il sur un pied-à-l'eau, c'est-à-dire un pédalo, qui en était l'apogée technique et dont il a exhumé un exemplaire lors d'une fouille:
Nous, par comparaison, nous sommes un peuple de brutes engoncées dans nos boues et nos structures administratives, dépendantes de bêtes de somme retorses pour tracter des carrioles d'une lourdeur ahurissante.
Comme il s'insurge contre la destruction de ce vestige, les autorités le contraignent à l'exil et gardent la Remington. Laquelle échoit à Arbuss Thomas qui y consigne les faits et gestes d'une secte violente qui prend l'ascendant et dont le slogan est:
Soleil à vous! Pureté!
Un jour, Arbuss Thomas tente en vain de fuir. La Remington est récupérée par Simon, mais son chariot a été faussé parce que Thomas s'en est servi pour défoncer un crâne, si bien que le récit est imprimé de biais pendant vingt pages, avant réparation.
Le chroniqueur anonyme reprend sous un autre angle les récits de ses prédécesseurs à partir d'archives inédites. Il raconte notamment à partir des carnets laissés par un des personnages l'aventure d'un engin qui ira par monts et par golfes:
L'engin s'appellera donc montgolfière...
Il reviendra à Nivard quelque 140 ans plus tard de tirer les conclusions de ces quatre récits de choses vues et de chercher pourquoi l'humanité s'était à ce point délitée. Il comprendra que les sectarismes et les soifs d'absolus peuvent être mortels...
Francis Richard
Remington, Christophe Ségas, 224 pages, Hélice Hélas et Le Nouvel Attila