Geraint Thomas (Sky), vainqueur surprise.
Route du Tour, envoyé spécial.Les circonstances, en terres cyclistes, révèlent toujours les caractères bien trempés. Et quand il s’agit du Tour de France, le legs d’amour se jauge de deux manières possibles: l’ampleur du soutien populaire d’un côté; le sacrifice consenti par les Géants de la route d’un autre côté. La première étape de la cent quatrième édition, un contre-la-montre de 14 kilomètres sans aspérité qui renvoyait au passé les vieux prologues à «la papa», nous donna une indication assez précise. Débutons par l’art populaire de la Grande Boucle, venue planter le drapeau jaune de sa suprématie en territoire étranger. A Düsseldorf précisément, ville plantée au cœur de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Autrement dit en Allemagne, où la plus grande épreuve cycliste du monde n’était plus la bienvenue depuis dix ans au moins. Le pays – en bloc – s’était détourné du Tour. Et du vélo en globalité d’ailleurs. La faute aux affaires de dopage, celles des années 2000, qui éclaboussèrent à peu près tout ce que l’Allemagne avait donné au cyclisme. Contrairement à d’autres nations, les conséquences furent brutales. Les chaînes publiques coupèrent les images, les journalistes boudèrent et brillèrent par leur absence, le tour national disparu du calendrier, quant aux équipes professionnelles, le pays n’en comptait plus…
Ce samedi premier juillet, malgré une pluie battante, une chaussée détrempée et un temps quasi automnal (entre 15 et 17 degrés), le public germanique retrouva quelque peu le goût assumé de la Petite Reine. Avouons que le propriétaire du Tour, ASO (Amaury Sport Organisation), avait bien préparé le terrain, jouant de sa toute puissance – historique et financière – pour tenter de réactiver la mécanique : relance du Tour d’Allemagne dès 2018, rachat du prestigieux Grand Prix de Francfort, attribution du Grand Départ du Tour 2017 à Düsseldorf… les gestes n’ont pas manqué. D’autant que quelques nouvelles gloires nationales – Tony Martin, Marcel Kittel, John Degenkolb, etc. – s’attirent plutôt les faveurs de la presse. Affaire réglée? Dopage oublié? Allons donc… Les années de plomb continuent de peser. Et les spectres hantent toujours les bonnes consciences supposées. Ainsi le repenti Jan Ullrich, seul vainqueur allemand de l’histoire du Tour, il y a tout juste vingt ans, en 1997, fut-il éconduit des festivités du Grand Départ. Beaucoup en eurent gros sur le cœur, à tort ou à raison. Par exemple le plus célèbre des bannis du cyclisme, Lance Armstrong en personne. Indésirable sur la Grande Boucle après avoir été déchu de ses sept victoires pour dopage, l'Américain n’a pas manqué de dénoncer le comportement d'ASO vis-à-vis de son ex-dauphin Ullrich. Sur son compte Twitter, le Texan s'en est violemment pris au directeur de l'épreuve Christian Prudhomme et à ses collaborateurs: «Dérouler le tapis rouge à des gars comme Jalabert, Virenque et Hinault (et beaucoup d'autres) et ne pas inviter Jan ? Pfff, Fuck ASO!» Le retour des amabilités en somme. Il est vrai qu’Ullrich avait avoué en 2013 avoir eu recours au dopage à l'EPO durant sa carrière. Mais, contrairement à Armstrong, son nom n'a jamais été retiré du palmarès… comme tant d’autres. Autant dire que ces trois jours dans la Ruhr – présentation des équipes vendredi 30 juin, première étape samedi premier juillet et départ pour Liège dimanche – pèseront lourd pour l’avenir du cyclisme outre-Rhin. Hélas pour les Allemands, le grand favori du chrono, Tony Martin, ne répondit pas présent. Sur une asphalte hyper piégeuse, tous les spécialistes ne furent pas piégés, avalant les larges routes bordant le Rhin à plus de 55 km/h. Mais alors que nous attendions Martin, Primoz Roglic ou Jos Van Emden, ce fut le rouleur gallois de la Sky, Geraint Thomas, qui passa entre les gouttes. Le Britannique décrocha pour l’occasion sa première victoire sur la Grande Boucle, devant Stefan Küng et Vasil Kyriyenka, et s'offrit surtout le premier maillot jaune de sa carrière. Son équipier, Chris Froome (6e), réalisa déjà une belle opération, rejetant ses principaux adversaires à plusieurs dizaines de secondes. L'équipe du vainqueur 2016 plaça d'ailleurs quatre coureurs dans les sept premières places du contre-la-montre inaugural... sans commentaire.
Valverde au sol...
Pour l’un des prétendants, en revanche, la course tourna au drame. A mi-parcours du tracé, Alejandro Valverde (coéquipier de Nairo Quintana) chuta lourdement dans un virage en dévers, partit dans une glissade infinie avant de taper une barrière de sécurité de plein fouet, genoux en avant. Evacué avec une minerve après être resté de longues minutes au sol, le vétéran de la Movistar abandonna. Il souffrirait d'une grosse coupure au niveau de la jambe et de douleurs aux côtes. Parfois, les caractères bien trempés ne suffisent pas à vaincre les fatalités du Tour.