Cette Confession d'un Cardinal est a priori un ouvrage assez mystérieux. Son auteur, Olivier Le Gendre, est un journaliste bien ancré dans le milieu catholique. Il se met en scène dans l'ouvrage, racontant avoir été contacté par une éminence grise (car anonyme!), cardinal désormais en retraite, dans le but de rédiger ses mémoires. Première question: s'agit-il d'un procédé littéraire pur et simple, permettant à l'auteur de donner une certaine autorité à son propos, ou bien d'une forme de transcription d'échanges que l'auteur aurait eus avec divers responsables catholiques? Mystère. Certains voient derrière l'ouvrage une influence du courant réformiste du Vatican: un vrai cardinal, Mgr Silvestrini, serait à son origine. Le texte est en tous cas précis sur de nombreux sujets confidentiels et il semble excessif de crier à l'invention pure: l'auteur est de toute évidence bien informé et à mes yeux trop fervent catholique pour sombrer dans un délire mystificateur!
L'intérêt de la présence "romanesque" - car ce texte, dont le fond tient plutôt de l'essai, se lit comme un vrai roman - de la présence de ces deux personnages, tient à la mise en scène d'une conversion initiatique. Le procédé est artificiel puisque le narrateur, censé être catholique et plutôt cultivé, a souvent des réactions étonnamment naïves - pour ne pas dire carrément basiques. Autant dire que l'ensemble manque sérieusement de naturel, mais cela n'a que peu d'importance. Car cette image grossière du "candide" qui dialogue avec l'homme sage, vieillard expérimenté, qui a connu les sphères les plus hautes du pouvoir - la curie romaine, tout de même - renvoie à un modèle que nous connaissons bien: celui du dialogue philosophique. Instruit progressivement par les propos du cardinal, qui passent du cours d'histoire réinterprété aux anecdotes lourdes de sens, au témoignage à proprement parler sur ses propres expériences de vie spirituelle et active, en passant par le partage de certains moments - la prière dans le quartier des bordels, le narrateur - surpris, bousculé, choqué même parfois - accède progressivement à une conception renouvelée de l'Eglise Catholique.
L'intention du cardinal était donc strictement maïeutique: il désirait donc faire jaillir, dans le coeur de son interlocuteur, la conviction qu'il voulait lui faire partager: celle que l'Eglise Catholique est une formidable puissance de vie et d'amour, et que les erreurs et les héritages trop lourds à porter ne doivent pas empêcher les chrétiens de la faire vivre, revivre, sous une forme adaptée à notre temps. Car le regard du vieux cardinal est sans complaisance - à vrai dire, réaliste et pragmatique. Une des forces de cet ouvrage est de proposer une analyse de la situation actuelle de l'Eglise romaine, cherchant les racines du mal et établissant un tableau assez noir - mais cette critique est profondément bienveillante et aimante. Il est absurde de nier que la plupart des constats établis au sein du dialogue sont profondément justes - quoique délicats à entendre - et que les affronter courageusement est la seule solution possible pour faire vivre l'Eglise du Christ. Constats justes et ton juste, car plein de douceur et d'honnêteté.
Alors, que faire de l'Eglise? Ce livre ne m'a vraiment pas soulagée, quoique j'y aie retrouvé les convictions profondes qui m'habitent. De fait, c'est probablement parce qu'il est venu confirmer mes constats et mes idées qu'il me pèse. Je sais depuis que je suis baptisée que l'Eglise est une, sainte, catholique et apostolique, et j'y crois avec passion. J'aime le pape et ne tolère pas qu'on se dise catholique et qu'on le rejette. Aimer le pape n'implique pas de l'idolâtrer, heureusement - mais se dire catholique sans reconnaître l'autorité du successeur de Pierre me semble problématique. Mon amour inconditionnel pour l'Eglise, mystique et institutionnelle - car elles sont liées - ne m'empêche pas d'être assez lucide pour reconnaître que l'Eglise institutionnelle est sur une pente décadente, ce que le livre exprime clairement. J'aurais de mon côté tendance à penser que la décadence de l'Eglise est consubstantiellement liée à celle de la civilisation occidentale qu'elle a structurée depuis 2 000 ans; mais c'est là un tout autrement vaste problème.
Quoiqu'il en soit, il faut accepter l'évidence: l'Eglise en France est un corps moribond. Tant de paroisses pour si peu de fidèles, tant d'efforts si vains par quelques poignées de "laïcs" actifs, pour maintenir une activité paroissiale qui contente quelques vieillards et repousse tout le monde. Le système paroissial est mort, il est sous perfusion, personne n'a le courage de l'euthanasier - ce serait signer l'arrêt de mort d'un système diocésain qui repose sur les communautés locales! Quand il n'y aura plus du tout de communautés locales dans les campagnes - où il n'y a déjà plus de jeunes générations en général, que quelques groupes subsisteront dans les villes, il faudra pourtant s'y résoudre.
Tant d'efforts vains et de bonnes intentions pour si peu de résultats spirituellement porteurs. Tant de soucis sur des détails et si peu de souci du royaume de Dieu. Tant de dimanches où l'on se rend à la messe le coeur joyeux et où l'on en sort meurtri, avec le sentiment d'une rencontre gâchée. Tant de sermons d'une médiocrité intellectuelle stupéfiante, quand ce n'est pas d'un didactisme moral effrayant. Tant de bons sentiments dégoulinants et si peu d'efficacité opérationnelle. Tant de rigidité morale et si peu d'accueil. Tant de bonne conscience et d'illusion, de persévérance dans la vanité d'un système MORT! C'est triste de le reconnaître, mais je n'enverrais jamais quelqu'un qui me dit chercher Dieu dans mon église, j'aurais trop peur qu'il s'y perde.
Avant même de recevoir les sacrements, j'ai été convaincue du fait que, si les sacrements nous lient à Dieu, Dieu n'est pas lié par ses sacrements. Dieu se donne à nous et nous nous donnons à Lui - mystérieux échange sacramentel - dans toutes les sphères de notre existence: relations, travail, vie de l'esprit qui contemple la beauté du monde et éprouve son harmonie dans l'exercice de son intelligence, dans la contemplation de la nature, et même des oeuvres d'art, l'écoute attentive de la musique... La participation aux sacrements de l'Eglise est absolument fondamentale, mais elle ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt des multitudes de rencontre avec Dieu que nous propose notre vie entière! Alors, alors, que faire?
Vivre sa vie sur le mode d'une rencontre, sur un mode eucharistique, et laisser le corps de l'Eglise qu'on aime agoniser pathétiquement faute d'avoir voulu se remettre en route, se tourner vers l'avenir?
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