mais juste la pensée qu’il lui faudrait demeurer ici
plus haut que vivre simplement attentif
parmi tout ce qui renverse
Georges Guillain nous dit son attention, au monde, ce qu’il en éprouve, nous sommes enfin reliés au monde, nous sommes « parmi » et non pas hors du monde, dans les mots aussi, et pas seulement.
Les deux parties de ce recueil « Une histoire d’Il » et « Quelques poèmes d’Il », ainsi que les sous-parties qu’elles contiennent, forment, chacune à leur manière, des mondes à part, des voix à part ; chacune à sa personnalité, son rythme. Et même, d’un poème à l’autre, la forme, le fond, ne sont pas les mêmes, nous surprennent. Les variations typographiques n’ont rien d’appuyé, elles sont là, semble-t-il, pour nous dire de prendre le temps, de mettre un accent, d’être attentif, et pour cela même, varient, que l’on ne s’y habitue pas. Et puis, ce que l’œil voit, l’ouïe l’entend, car Georges Guillain profite du jeu des assonances, n’hésitant pas à faire bruisser, chuinter, bruire les mots. Il oblige à lire avec les lèvres, à prononcer : « pris dans la troupe cornaquée qui s’écarquille » (p. 29) ou encore « l’audace flexible de l’eau/ qui bat les colonnes basaltiques » (p. 39). Cette variété typographique (barre d’espace, italique, majuscule, et même rature !...) qui répond au travail sur la langue sensible, la langue du sens et des sons, prend appui sur le rythme, que l’on perçoit en sourdine, bien cadencé, maîtrisé mais toujours fluide. Les exemples sont partout, mais citons un vers de « La vie par les bouts », ce long poème qui s’enchaîne comme une danse, une écharpe qui se déroule indéfiniment :
rien que radieuse plongerie du ciel
parmi le gros cœur qu’on portait
à se voir ainsi dans la rue s’esquinter
à rattraper/ la vie par les bouts (p. 103)
Le « Il » majuscule étonne, peut-être, il nous est amplement commenté par l’auteur, comme étant le sujet du poème, c’est-à-dire un peu nous les lecteurs, un peu le monde qui aida à les engendrer, comme le soulignent sans pesanteur les notes, qui constituent une troisième partie du recueil, sans que pour autant le sujet disparaisse et se laisse relayer par un langage qui parlerait tout seul…
La première série de poèmes « sans que personne l’entende » touche d’emblée, par la simplicité, la fraîcheur. Écrire des poèmes simples, est difficile, on le sait. Ils portent loin et avec peu de mots, une pauvreté, une ascèse qui libère l’œil et l’ouïe du lecteur. Les poèmes ont la sincérité d’une fleur qui s’ouvre, sans doute parce qu’ils sont sous la protection de Bashô, comme tout le recueil, peut-être, ces poèmes ont l’aplomb et le vif d’un haïku (p.13):
mais parce que cela fait longtemps
qu’il n’a plus écrit de Poème Il est content
de ce début d’averse qui recolore
autour de lui les choses simples
autrement
On peut rester longtemps à l’écoute de ce qui vient d’être dit ; écrire et vivre ne s’opposent plus, mais vivent en symbiose. Le monde est sans cesse présent dans ces vers, et il porte à réfléchir, à ralentir, à s’attarder. On est à l’écoute de l’instant, attentif aux choses :
mais comme le souhaitait le poète
William Carlos Williams Il aimerait
qu’écrire soit fait de ces mots lents et prestes
ouverts à l’attente et pénétrants jamais distraits
qui laissent la parole aux choses
non pour les vider d’invention de mouvement
pour en prendre mesure
(p. 19 ).
Le monde naturel est présent. Ce n’est pas seulement une figure de style, un symbole, c’est la réalité de notre monde dont il semble que notre siècle doive percevoir l’évanescence, bien tardivement. Plusieurs pages sont consacrées aux jardins. S’il s’agit de jardins réels, visités, expérimentés, en un lieu et en un temps, le poète, Il, ne dédaigne pas l’humain, pas d’opposition manichéenne nature/culture, homme/ animal chez Georges Guillain, qui nous a habitué dans ses précédents recueils, notamment, Compris dans le paysage, (Potentille, 2010) ou Avec la terre, au bout, (Atelier La Feugraie 2011), à adopter une attitude perspicace et amène pour ce qui nous entoure, et nous garde en vie, en tant que nous en sommes partie prenante.
Camille Loivier
Georges Guillain, Parmi tout ce qui renverse, Le Castor Astral, 2017, 128 p., 13€.