Le cimetière, ses apparences et ses usages, sont l’expression de notre culture. Entre autres de la primauté accordée à la Personne au sein de la société, qu’elle soit vive ou disparue. Primauté reprise par les Droits de l’homme et du citoyen et jamais démentie par les aménagements législatifs ultérieurs.
La fonction de base du cimetière en est le reflet : un espace communal, de caractère public au même titre qu’une place urbaine, ou chaque citoyen peut établir une sépulture de son choix sur un emplacement gratuit puisque l’espace est d’usage public et communautaire. Une “Place aux Anciens“, comme il y a une Place Jean-Jaures, à la fois lieu d’isolement hygiénique et lieu de reconnaissance sociale. Son fonctionnement, conforme au respect constitutionnel de la Personne et à la Liberté des funérailles, paraît ainsi très sain et porteur de valeurs de mémoire, de reconnaissance et de transmission.
Le côté idyllique de cet “espace public à disposition“ s’est estompé au fil de la densification urbaine et de l’émergence d’une bourgeoisie argentée issue de la révolution industrielle. La place en cimetière est devenue plus rare. Le temps accordé aux emplacements non concédés, réglé par un système de rotation, s’en est trouvé réduit.
Le contrat payant “d’occupation du domaine public“ pour une durée déterminée – la concession – pourtant facultatif, en est devenu systématique. C’est comme si chacun avait voulu posséder sa terrasse de café sur la Place aux Anciens au point qu’il n’y aurait plus moyen d’y mettre un banc public… Les usagers ont trouvé leur compte dans ces nouvelles pratiques, et les mairies aussi en prenant l’habitude que les coûts des cimetières soient partiellement absorbés par l’argent des concessions et non par l’impôt. On est donc insidieusement passé d’un espace public libre d’usage à un service public payant. Accessoirement, d’un espace aéré et vert à un espace optimisé et organisé en alignements minéraux. Cependant, la pratique de la crémation pourrait inverser la tendance.
La bonne nouvelle, c’est qu’avec de plus en plus de personnes défuntes qui sont en urnes funéraire, il devient possible de restaurer le mode de fonctionnement de base du cimetière. Les sépultures d’urne occupent à minima cinq fois moins de place que celles de cercueils et libèrent d’autant de la place en cimetière. La concession payante ne se justifie plus dans le but de se garantir une durée de sépulture parce que le temps de rotation des emplacements gratuits peut s’en trouvé allongé. Et le cimetière aéré et vert est à nouveau envisageable.
L’autre bonne nouvelle, c’est qu’une personne défunte en urne est l’égale d’une personne en cercueil – c’est la loi de 2008. À elle le libre choix du statut de l’emplacement pour établir une sépulture – concédé ou non- concédé. À elle aussi le libre choix du type et du mode de sépulture conformément à la liberté de funérailles dont elle jouit maintenant.
Mais qui dit bonnes « nouvelles » dit “nouveauté“. On va dire que ni les maires, personnellement responsables des opérations funéraires sur leur commune, ni le petit monde du funéraire, marbriers et pompes funèbres – premiers contacts en cas de décès – ne sont prêts ou tout du moins ne se précipitent pour s’adapter à la crémation. Pourtant il en va aux uns, l’intérêt de l’économie de foncier et du service public accompli, et aux autres l’ouverture d’un nouveau marché.
Pour redonner au cimetière son caractère d’espace d’usage public la première nécessité est que les usagers soient correctement informés des possibilités qu’ils ont en cimetière après une crémation et que les maires disposent d’un cadre pour ce faire. Le président du CNOF (Conseil National des Opérations Funéraires), par ailleurs Directeur général aux collectivités locales au ministère de l’intérieur, en a été dernièrement saisi. Une ébauche de « modèle d’information des usagers du cimetière après une crémation », reprenant les bases fonctionnelles du cimetière, lui a été soumise pour discussion au sein du Conseil.
On verra ce qu’il en ressortira mais les progrès attendus deviennent urgents pour offrir le respect dû aux personnes en urnes : le libre-choix du statut de l’emplacement, la liberté de funérailles, le libre-choix de la sépulture. Respect rarement accordé.
La situation courante c’est le cimetière où déjà l’emplacement non-concédé pour urne n’est pas proposé par le maire, où ce dernier vous laisse le choix entre une case de columbarium payante et…. rien. Si vous résistez et insistez pour établir une sépulture de votre choix, direction une concession de 2 m2 pour cercueil, huit fois plus chère parce que huit fois plus grande que ce dont vous avez besoin pour une sépulture d’urnes… Toujours pas satisfait, débrouillez-vous avec la tombe existante d’un parent …..Si vous en disposez.
Dernière bouée de sauvetage, une dispersion des « cendres » dans le jardin du souvenir – soit dit en passant, trop souvent un bac à sable ou une fosse d’os broyés – qui n’a rien d’une sépulture. Adieu la Place aux Anciens, courrons en pleine nature !