Le marxisme et l'art. 7/ Pour une critique marxiste de l'esthétique de Hegel. Par Roger Garaudy

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Ainsi peuvent se dessiner les grandes lignes d'une critique marxiste de l'esthétique de Hegel : - 1/Marx reprend l'idée maîtresse de Hegel (empruntée d'ailleurs par Hegel à Fichte) que l'homme c'est la création continuée de l'homme par l'homme. Mais, à la différence de Fichte et de Hegel, Marx ne conçoit pas cet acte créateur sous la forme abstraite et aliénée de création spirituelle, de création de concepts, ni sous la forme individualiste et romantique de création solitaire et arbitraire. L'acte créateur de l'homme, dans la perspective matérialiste de Marx, c'est le travail concret, un moment de l'action réciproque de l'homme et de la nature, où la nature impose à l'homme ses besoins et où l'homme émerge de cette nature par la production consciente de ses fins. Ce travail concret est aussi un travail social, constituant historiquement ses valeurs, la continuité historique de ces valeurs et leur objectivité sociale. La création artistique est immanente à ce travail,
elle en est le moment suprême : celui de la
découverte de fins nouvelles. Elle n'est pas seulement une production de l'esprit, mais une réalisation de l'homme entier. - 2/Marx, à la différence de.Hegel, distingue aliénation et objectivation . L’objectivation est l'acte par lequel l'homme réalise, en produisant un objet, ses propres fins, alors que l'aliénation est la forme que prend cette objectivation dans toute formation économique et sociale où règne le système du marché, et, plus encore, dans tout régime où la force de travail devient une marchandise. Comme l'écrit Vasquez dans son livre Las ideas estéticas de Marx, «l'objectivation a permis à l'homme de s'élever du naturel à l'humain ; l'aliénation inverse ce mouvement ». Ce sont de telles conditions historiques qui ont entraîné la séparation entre la conception de la fin, privilège des classes dominantes, et la réalisation de ces fins, réalisation pour laquelle deviennent des moyens tous ceux qui ne possèdent pas les instruments de production. De cette séparation fondamentale, qui est un produit de la division en classes, naissent toutes les autres : séparation de la conscience et de la main, du projet et de l'exécution, du travail manuel et du travail intellectuel, du travail et de l'art. - 3/ Marx, à la différence de Hegel, ne considère pas l'art seulement comme une forme de connaissance. Pour Hegel l'art (comme l a religion d'ailleurs) ne se distingue de la philosophie que par sa forme et par son langage: il exprime, par images ou par symboles, ce que la philosophie exprime plus parfaitement par concepts. Marx, précisément parce qu'il ne conçoit pas le travail sous sa forme simplement abstraite de production de concepts, mais sous sa forme concrète de production de moyens nouveaux qui engendreront de nouveaux besoins, ouvre à l'homme social un horizon sans fin de création et de métamorphose. Il peut découvrir ce qu'il y a de spécifique dans l'art, à la fois dans son objet, qui n'est pas de satisfaire un besoin particulier de l'homme mais son besoin spécifiquement humain de s'objectiver comme créateur — au sens même où Marx dira dans le Capital que, dans le communisme, le libre déploiement des forces créatrices de l'homme, délivré du besoin physique, deviendra une fin en soi, — et dans son langage , qui n'est plus celui du concept exprimant toujours une réalité, un objet ou un rapport déjà constitué, mais celui de la « poésie » (au sens le plus profond) : le langage du mythe qui exprime non une réalité déjà faite, mais une réalité en train de se faire, inachevée, et dans laquelle un avenir encore imprévisible est en germe.
Roger Garaudy Extrait de "Marxisme du 20e siècle". L'illustration (l'arbre foudroyé de la Commune de Paris par DAUMIER) est extraite du livre de R.G "Comment l'homme devint humain"
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