Lorsque les trombones déploient leur souffle et toute leur démesure sur le morceau « The Spaceship » de Wall-E, le doute n’est alors plus permis : la musique de film s’écoute bien sûr, mais surtout, se vit.
Depuis quelques années, l’industrie musicale voit ses ventes sur support physique décliner. Une baisse tant bien que mal compensée par le dématérialisé et les plateformes de streaming telles qu’Apple Music, Deezer, ou Spotify.
Pourtant, on peut dans le même temps observer le retour en force des festivals et des concerts, à même de rassasier les mélomanes ayant à cœur d’apprécier la musique en conditions réelles.
Des expériences plus onéreuses à l’achat qu’un album sur CD, que les spectateurs sont pourtant davantage enclin à financer afin de vivre des expériences uniques, intenses et immersives de par leur nature même, mais aussi (et c’est à noter) socialement plus satisfaisantes. La musique, affranchie de ses moyens de diffusion désormais très individualisés (le téléphone portable étant devenu d’entre tous le support d’écoute privilégié), reste d’abord et avant tout un art et un média à partager.
Au même titre qu’au théâtre ou (dans une moindre mesure) lors de ciné-concerts, la scène redevient un vecteur d’échanges manifeste au sein d’une atmosphère lui étant propre. En omettant un ticket d’entrée parfois (trop) dissuasif, le parterre et les gradins s’unissent dans un effet de masse démocratique, où classes populaires se mêlent à celles plus nanties, alors réunies autour d’un unique élément fédérateur : l’amour du son, embrassé au cours d’une immersive communion.
« J’y étais. »
La sensation de faire partie du club. De celles et ceux ayant eu la chance d’en être. Woodstock 1969. Les Beatles et leur Rooftop Concert de la même année. Queen à Wembley en 1986. Les Pink Floyd à Berlin en 1990…
Bien sûr, on parle là de concerts mythiques, difficilement égalables ne serait-ce que de par leur dimension historique.
Néanmoins, s’il est un élément commun à chacun d’entre eux, du plus intimiste au plus ambitieux, c’est bien celui de se risquer à offrir une performance, d’apporter de l’humain et du sensible dans l’espoir de fédérer et soulever les foules.
Si les spectateurs viennent évidemment pour savourer leurs morceaux préférés, ils s’attendent également à vibrer, à ressentir la musique dans toutes ses aspérités. Ce qu’une écoute, chez soi confortablement installé, et ce quel que soit le niveau d’équipement utilisé, ne saurait procurer.
Un constat s’appliquant par ailleurs tout autant à la musique de films qu’à celle de jeux vidéo. Dans un cas comme dans l’autre, on assiste à une démocratisation de concerts axés autour de ces deux thématiques, jouant à la fois sur l’intérêt quant aux œuvres référencées, et sur une nouvelle fois celui d’apprécier des morceaux dans leurs apparats originaux.
Une approche embrassée par l’Orchestre à Vents de Musiques de films de Montréal, et par son chef d’orchestre et directeur artistique Jocelyn Leblanc depuis pas moins de dix-sept ans. En somme, des précurseurs dans le domaine dont le succès, année après année, se fait toujours plus conséquent.
Il faut dire qu’il y a en pour tous les goûts, pour peu que l’on soit sensible ou familier (ou les deux) avec la culture geek, de manière plus globale avec la culture pop’. D’Harry Potter à Doctor Who, de Marvel à Jurassic Park, des musiques de la NES (la première console de salon de Nintendo) à celles des productions Disney-Pixar, l’OVMF se montre éclectique tout en restant accessible.
Un choix sensé lorsque le but même de ces spectacles est de fédérer toutes les générations mêlées.
Aussi, celles et ceux qui s’attendront à des spectacles entièrement léchés, au rythme parfaitement calibré, en seront pour leurs frais. Aller assister à concert mené par Jocelyn Leblanc, c’est accepter de prendre son temps.
Le temps d’expliquer la démarche créative derrière chaque morceau. Le temps d’indiquer quel(le)s musicien(ne)s ont effectué un solo. Le temps d’offrir un moment de partage, entre la salle et son orchestre, tout simplement.
Une structure à laquelle le Concert Pixar (celui auquel nous avons assisté le 7 juin dernier) n’a, lui non plus, pas échappé.
Et c’est tant mieux !
Car outre ses qualités scéniques, de mise en scène et d’interprétation sur lesquelles nous reviendrons, la grande valeur ajoutée du spectacle tient surtout en sa dimension didactique, en révélant (même si subrepticement) les coulisses et le pourquoi du comment.
D’apprendre comment Jocelyn Leblanc a appréhendé la musique de chaque film qu’il a sélectionné. Par exemple, ce qui a pu lui parler dans celle jazzy de Monsters University. Comment il a monté et réarrangé les segments choisis de Wall-E. Quelles alternatives il a dû déployer afin de compenser l’absence de certains instruments (notamment pour Vice-Versa et ses notes en « gouttes d’eau »). Quels sont, même, plus précisément ceux utilisés au cours des différents morceaux.
Pour les rompu(e)s à l’exercice, cela pourra peut-être paraître superflu. Mais en gardant à l’esprit que pareil spectacle s’adresse à un public de tous âges et de toutes sensibilités, l’effort de sensibilisation reste d’importance, surtout si cela peut aboutir à l’émergence d’une quelconque vocation.
Une volonté d’explications qui, soyons honnêtes, n’aurait pas pesé bien lourd si l’exécution des partitions en tant que telles ne s’était pas montrée à la hauteur.
Porté par une équipe de bénévoles passionnés (bien que l’on pourra tout de même tiquer sur le fait qu’ils ne soient pas un minimum rémunérés), l’orchestre a heureusement du souffle et du talent à revendre, excellant autant dans le son rupestre de 1001 Pattes que sur la douceur mélancolique d’Inside Out.
Une versatilité de circonstance se voyant magnifiquement soutenue par la conjugaison des flûtes tout en retenue et en douceur, des euphoniums et des trombones, eux, davantage en force et en fronde, quand ils ne sont tout simplement pas tous surclassés par le poids des trombones grandiloquents et des tubas.Une cohorte d’instruments menée de main de maître par Jocelyn Leblanc, jamais dépassé par les (rares) accrocs et les musiciens parfois en retard niveau tempo. De manière fluide et transparente, le chef d’orchestre rattrape son monde, relance constamment la machine, notamment lorsqu’un solo se fait chancelant, ou un peu moins percutant.
Les temps morts, ainsi, se font rares, permettant aux compositions de Randy et de Thomas Newman, sans oublier le plus célèbre du trio Michael Giacchino, de se déployer dans toute leur complexité, leur densité et leur intensité, mais aussi (et c’est peut-être finalement ça le plus stupéfiant) leur accessible universalité.
Il suffisait de se retourner quelques instants, de scruter la salle à la volée pour constater à quel point ces musiques ont su émouvoir et parler autant aux bambins qu’à leurs parents, voire leurs grands-parents, sans oublier, pourtant, de se montrer exigeants.
Une exigence qui nous conduirait presque à regretter certains choix effectués par Jocelyn Leblanc parmi la sélection proposée. En particulier le fait d’avoir placé le sommet du concert (le segment Wall-E) au milieu de la première partie ; la suite, bien que toujours aussi entraînante, ne pouvait alors que souffrir de la comparaison. Passons également rapidement sur le fait d’avoir laissé de côté le très beau Voyage d’Arlo au profit du passable Monsters University…
De légères réserves histoire de, qui n’auraient de toutes façons pu gâcher un plaisir par ailleurs constant près de deux heures durant. Un instant de grâce et de félicité savoureusement régressif, tout en se parant d’atours excellemment contemplatifs.
Entérinant le fait que la musique n’en est que plus belle lorsqu’elle prend vie, le Concert Pixar nous a, sur ce plan et à tous points de vue, totalement conquis. On prend dès lors les paris qu’il en sera de même lors du futur Concert Ghibli, qui aura lieu, lui, le 18 février prochain. Le rendez-vous est pris !