Le Peuple Mapuche eut une autre histoire en Argentine :
Pedro de Mendoza, envoyé de la Couronne espagnole, fonda en 1536 le fort de Nuestra Señora de Santa María del Buen Ayre . Celui-ci fut vite détruit par les indiens et les espagnols rejetés à la mer. Un détail qui semblait sans importance au moment ,il laissa sur place une centaine de chevaux . Lorsque quarante ans plus tard, Juan de Garay arriva e à son tour sur ces terres qui s'étaient révélées hostiles, il y découvrit que les chevaux laissés par son prédécesseur s'étaient multipliés dans les prairies de la Pampa humide. Ce phénomène donna ainsi naissance à un processus majeur de transformation de la plus grande partie des cultures indigènes argentines : leurs sociétés allaient dès lors se réorganiser à tous les niveaux (économique, social et politique) autour de la domestication du cheval. Garay fonda donc pour la deuxième fois Buenos Aires le 11 juin 1580, sous le nom de Santísima Trinidad qui perdurera officiellement jusqu'à l'Indépendance de 1810. .
Parallèlement à la fondation de Buenos Aires, les Espagnols pénétrèrent sur le territoire argentin par le chili et le Pérou. Ils dominèrent une zone triangulaire, lignée de places fortes, permettant de faire la jonction avec l'Atlantique et offrant un débouché pour le rapatriement des métaux précieux du Haut Pérou sur l'Espagne. A l'Est outre Buenos Aires et Asunción ,Santa Fe, Rosario, et Corrientes. Depuis le Nord-ouest et l'Empire Inca, les Espagnols s'implantèrent à Jujuy, Salta, Tucumán, Santiago del Estero, et Córdoba. A l'Ouest, les bourgades de Mendoza, San Luis, San Juan et La Rioja établissant la communication transandine entre le Chili et les autres régions d'Argentine.
Par contre, la région centrale de la Pampa, les régions plus australes de Patagonie et Terre de Feu, ainsi que le triangle du Chaco) restèrent libres du joug espagnol . D'où, dans les faits, deux mondes distincts qui vont perdurer durant trois siècles : le monde indigène libre et le monde hispanocréole .Le monde hispanocréole avait une unité politique bien définie de par son allégeance à la Couronne d'Espagne, le monde indigène n'était en rien homogène, se composant de différentes cultures parfois en conflit. Il n'en reste pas moins que les cultures indigènes, au-delà de leurs traditionnelles rivalités, se considèrent -et sont à la fois considérées par les Espagnols- comme un tout : ce sont les natifs, les fils de la terre, et ils s'opposent en cela aux étrangers qu'ils qualifient généralement par le terme englobant de Wincas, c'est-à-dire les blancs.
Ces deux mondes sont ainsi séparés par des frontières qui n'évoluent que très peu malgré les périodes de guerre, en raison, d'une part, de la façon qu'ont les Indigènes de faire la guerre. Les Indigènes effectuent des malones, (singulier malon) sortes d'attaques planifiées ou razzias visant les villages de la ligne de frontière. Après l'attaque, ils se retiraient immédiatement à l'intérieur des terres avec leur butin. Le malón n'a donc pour ainsi dire aucune incidence sur la frontière, si ce n'est celle d'empêcher ou de retarder l'avancée des colons. D'autre part, les conquistadors se trouvèrent vite dans l'impossibilité de continuer leur expansion à cause de leur nombre limité et parce que le principal obstacle à la poursuite de la Conquista était précisément l'immensité des nouveaux territoires.
Les dites frontières intérieures qui s'instaurent au XVIe siècle ne se verront ainsi pratiquement pas modifiées jusqu'à l'ère révolutionnaire du début du XIXe siècle, et n'évolueront ensuite que partiellement en faveur du gouvernement argentin jusqu'à la « conquête définitive du « désert » en 1879. La société hispanocréole et les différentes cultures indigènes vont donc cohabiter -alternant périodes de paix et de guerre selon les contextes sociopolitiques du moment-, et la situation territoriale va se cristalliser dans le statu quo. Cette situation de statu quo se voit renforcée du fait que ces deux mondes antagonistes se reconnaissent très tôt comme des entités politiques souveraines. Ce phénomène est perceptible notamment à travers les très nombreux accords et traités qui sont contractés oralement (au XVIe siècle) ou mis sur papier (à partir du XVIIe siècle), jusqu'au XIXe siècle -et ceci à la veille même de la conquête du « désert ».
En clair, existe durant trois siècles en Argentine un monde indigène libre et souverain confronté à un monde hispanocréole qui tend à l'expansion territoriale sans avoir les moyens d'y parvenir : entre ces deux mondes, une zone tampon fait office de frontière.
« Il faut néanmoins comprendre que la « conqête espagnole ne fut pas sans incidence sur le mode de vie indien. Dans les zones où les Espagnols s'établissent, l'apparition de bourgades de style européen change le paysage mais surtout le mode de vie des cultures environnantes. Conjointement à ces nouveaux centres apparaît une des résultantes fondamentale de la Conquista : le métissage entre Indigènes et Espagnols. En-dehors de ces centres urbains en développement, les Espagnols imposent aux populations soumises une nouvelle forme de travail : l'encomienda, système féodal transposé au Nouveau Monde, et qui a pour conséquence, sous la règle des conquistadors avides de richesses et reconvertis en encomenderos*, une rapide dégénérescence en esclavagisme. Dans les zones périphériques où la pénétration espagnole est hésitante, tel que le Littoral et certaines zones du Chaco, les transformations continuent sous l'influence des missionnaires jésuites,187 qui proposent au sein de leurs réductions, une forme de vie nouvelle –chrétienne et communautaire- aux Indigènes volontaires. Ces trois facteurs (urbanisation, travaux forcés, évangélisation) vont transformer rapidement les cultures indigènes soumises directement aux Espagnols. A cela s'ajoutent encore les ravages que provoquent les épidémies (de variole, rougeole et de typhus, pour ne citer que les plus désastreuses), maladies inconnues au Nouveau Monde et qui trouvent dans les peuples originaires un terrain vierge sur lequel se propager sans fin. Les Indigènes, soumis au régime de travail exténuant de l'encomienda, maltraités et sous-alimentés, séparés de leurs familles, résistent encore moins aux attaques bactériologiques. Dans certaines régions d'Amérique, la chute démographique atteint les proportions inimaginables de septante à nonante pour cent.188 En Argentine, certaines communautés indigènes -comme celle des Querandis- vont ainsi définitivement disparaître sous l'effet combiné de ces différentes transformations.
Dans les territoires restés libres, les conséquences de l'arrivée des Espagnols allaient aussi se faire ressentir en amenant un certain nombre de transformations : et bien qu'acquises spontanément, certaines d'entre elles n'en allaient pas moins changer radicalement la face du monde indigène libre. Ainsi, dans le complexe pampéen-patagonique tout comme dans le Chaco, l'intégration du cheval allait provoquer une véritable révolution de la façon de vivre de la majorité des peuples originairesCe phénomène est désigné des spécialistes par le terme de complexe équestre (horse complex), tant les bouleversements qu'il amène sont importantsAinsi, dans son ensemble, la Patagonie a intégré le cheval dès la moitié du XVIIe siècle-à l'exception des seuls Onas et Yámana-Alakalufs, qui resteront toujours imperméables à toute influence équestre.; en 1571, les Mapuches pratiquaient l'élevage de chevaux sur leurs terres et disposaient d'un corps de cavalerie ; en 1597, lors d'un affrontement avec les Espagnols, on dénombre, du côté des fils de la terre, cinq mille fantassins et trois mille cavaliers… » . La Conquête Du "Désert" Argentin (1879) Et La Fin De La Question Indigène. Etude Sur La Justification Idéologique D'une Spoliation. Stéphane Bürgi. Université De Lausanne
Tout changea pendant la période révolutionnaire (1810-1816) et l'indépendance. Pour les peuples originaires, cette période de luttes révolutionnaires représente une époque charnière, car à partir d'ici, leurs relations avec la société hispanocréole vont profondément se modifier, et cela de plusieurs points de vue. Parce que les révolutions hispano-américaines étaient influencées par les idéaux des Lumières et de la Révolution française ,des contacts vont se nouer au départ et des traités furent signés.Cette volonté sera toutefois de courte durée. Des milieux moins révolutionnaires et plus conservateurs vont prendre le dessus dans le gouvernement ;les bonnes intentions initiales se transformèrent alors en volonté d'annexion des territoires libres et de soumission des Indigènes.
Deux facteurs vont jouer de façon essentielle : Vers 1820, se développa la figure de l'estanciero, du grand propriétaire foncier détenteur du pouvoir économique et soutenu en armes par ses gauchos et qui alors va acquérir une influence politique grandissante. Juan Manuel de Rosas, dont le nom commence à se faire entendre vers 1820, en sera le paradigme. La dictature de Rosas marqua clairement l'accès au pouvoir de cette oligarchie terrienne qui aspire à gagner plus de terres sur le « désert » L'apparition de l'estanciero coïncidera donc avec une radicalisation de la question de la frontière intérieure. Le gouvernement commencera à développer une politique double envers les communautés indigènes libres de la Pampa et de la Patagonie : d'un côté, les autorités cherchent en effet à entretenir des rapports amicaux avec ces communautés en signant des traités de paix ; alors que de l'autre côté, elles soutiennent et incitent les colons à s'installer au-delà de la frontière, en terre indigène, pour y créer de nouvelles estancias. Cette aspiration se concrétisera finalement par la première opération militaire d'envergure contre les peuples originaires du complexe pampéen-patagonique. Cette campagne, soigneusement planifiée par Rosas, avait deux objectifs principaux. Le premier était de gagner des terres aux estancieros en étendant la frontière ;Le deuxième objectif était de soumettre, expulser ou détruire un certain nombre de groupes indigènes, conception qui va alors s'imposer à partir de ces années-là : tous les Indigènes qui n'accepteront pas l'assimilation forcée au mode de vie civilisé des Créoles, doivent être impitoyablement chassés de leurs terres ancestrales, ou purement et simplement exterminés, Plus aucune autre option n'étant envisagée. Cette campagne, qui restera gravée dans l'histoire argentine comme la campagne de 1833 marque un profond changement dans la guerre contre l'Indigène, car pour la première fois, des troupes militaires argentines pénètrent profondément dans les territoires libres ; pour la première fois, les victimes indigènes de ce conflit se comptent par milliers en l'espace de quelques mois.
« Le libéralisme va succéder au renversement de Rosas en 1852, le pays sort du protectionnisme auquel Rosas l'avait assigné. L'Argentine s'ouvre donc au commerce sans entraves et aux capitaux étrangers : elle s'intègre ainsi pleinement dans l'économie capitaliste mondiale. Ce capitalisme planétaire est déjà réglementé selon une division internationale du travail, au sein de laquelle les métropoles européennes fournissent des produits manufacturés bon marché aux Pays neufs, alors que ces derniers fournissent en échange les matières premières dont ils sont riches, ainsi que les produits agroalimentaires que les métropoles n'arrivent plus à produire en suffisance étant donné la réorientation de leurs économies (qui fait suite aux révolutions industrielles) dans les secteurs secondaires et tertiaires. Dans ce schéma, l'Argentine est appelée à devenir un des principaux greniers du monde. Les plaines, une fois contrôlées par le gouvernement et cultivées, lui permettront de fournir non seulement du blé et diverses céréales au monde entier, mais aussi et surtout de la viande. Car depuis l'invention du frigorifique, les estancieros argentins entrevoient des bénéfices et une prospérité sans limite. Mais si l'Argentine entend se développer avec son commerce extérieur, il va lui falloir toujours plus de terres. Dans la décennie qui précède la conquête du « désert » (1870-1878), la pression autour de la question Frontières augmente donc considérablement »
. La Conquête Du "Désert" Argentin (1879) Et La Fin De La Question Indigène. Etude Sur La Justification Idéologique D'une Spoliation. Stéphane Bürgi. Université De Lausanne
A cette époque, l'Argentine détient probablement une des plus faibles densités démographiques au monde. La solution consiste donc à attirer urgemment un maximum d'immigrants européens, à l'instar de ce qui se passe aux Etats-Unis, en Australie ou ailleurs. Pour vaincre ce désert, il faut donc, à travers la constitution et une volonté politique constante, encourager l'immigration et la colonisation subséquente des terres intérieures. Mais pour que cette politique de colonisation fonctionne, la Nation a principalement besoin d'agriculteurs et d'éleveurs qualifiés : l'immigration européenne –dont on imagine qu'elle sera naturellement rompue aux techniques agropastorales les plus modernes- résoudra en grande partie le problème du manque de main-d'œuvre qualifiée. Les peuples originaires sont alors présentés comme étant condamné à disparaître face à l'avancée du progrès et de la raison ; les Indigènes -vestiges d'un passé définitivement révolu- n'auront en effet bientôt plus d'endroit où se réfugier. Les raisons économiques vont donc se doubler d'une idéologie raciste qui va s'articuler de façon manichéenne autour des concepts de barbarie et de civilisation, constituant un véritable appel à la rupture avec tout ce qui diffère du modèle occidental civilisé : Indigènes, Afro-argentins, caudillos, gauchos, et masses populaires se rejoignirent finalement dans ce grand ensemble de la barbarie.
Libéralisme économique et idéologie culminèrent en 1879 dans l'épisode militaro politique qu'on a appelé la « conquête du désert » «du général Roca :la terminologie est lumineuse à cet effet. D'une part l'évènement, s'il signifie l'avancée de la frontière se situe en référence à la « conquista espagnole dont elle serait l'aboutissement. Le terme désert est par ailleurs révélateur et fait penser au « terra nullius », terre inhabitée, des anglais justifiant le peuplement colon de l'Australie, au mépris des aborigènes. Cette région était au contraire bien peuplée, et nombre de traités ont été signés entre des communautés indigènes -parfois des Confédérations- et les autorités coloniales, puis, plus tard, républicaines. Les communautés indigènes étaient donc reconnus de facto .Il s'agit donc d'une colonisation et d'une simple spoliation par la force des terres indigènes voire comme on le dit désormais d'un complet génocide.
Roca futur président argentin, à la tête d'une puissante armée moderne et bien entrainée parvint à soumettre la Patagonie en venant à bout de la résistance des Mapuches causant un nombre épouvantable de victimes. On estime que la guerre fut la cause directe de la mort de plus de 20 000 indigènes non combattants (femmes, enfants, vieillards. Les survivants furent déportés au loin dans les régions les plus stériles de Patagonie et d'ailleurs. Quelques 10 000 natifs furent faits prisonniers, et 3 000 furent déportés à Buenos Aires, où on les sépara par sexe, afin d'empêcher qu'ils puissent procréer des enfants. les femmes furent dispersées dans les différents quartiers de la ville, et utilisées comme servantes. les hommes furent envoyés dans l'île de Martín García, véritable camp d'extermination, où ils moururent en grande majorité.À la suite de sa victoire, Roca s'attribua 30 000 hectares de terres.
Le billet de 100 pesos est à l'effigie du général Roca , pendant la guerre du désert..
« L'action militaire de Julio Argentine Roca dans la conquête du désert lui ouvrira les portes de la magistrature suprême : Roca sera élu président de la République le 12 octobre 1880, pendant que dans tout le territoire mapuche les batailles vont succéder aux batailles. Un à un les différents clans vont connaître le même sort : leurs membres seront achevés ou fait prisonniers. En 1882 une nouvelle campagne militaire dirigée par le général Conrado Villegas autour de la région du grand lac Nahuel Huapi, va poursuivre et compléter avec sa campagne des Andes le travail de destruction et de mort qui avait caractérisé la conquête du désert Mais malgré tout, les Mapuche allaient continuer de résister alors que probablement ils connaissaient déjà l'issue de cette longue lutte. Comme le prouve l'action désespérée de deux capitaines de Namùnkura, Agneer et Querenal, dans la région de Choique Mahuida le 11 juin 1879. Assiégés par un détachement argentin, devant choisir entre être capturés, fuir vers le Chili, ou mourir sur leurs terres, ils optèrent pour cette dernière possibilité et firent face, une lance dans une main et un couteau dans l'autre, à un ennemi plusieurs fois plus nombreux » Sergio Zamora. Les Guerriers Du Crepuscule .Yvenine Edition
Si maintenant, délaissant l'histoire tragique, nous revenons à la sociologie et à l'ethnogenèse des Mapuche il est à remarquer que les Espagnols ont été les premier à s'interroger sur l'étonnante résistance des indiens ,rendant aléatoire toute conquête .Ils dégagèrent alors deux éléments sociologiques majeurs : la guerre et la dispersion. Ce ne fut que plus tard, au 19ème où les transformations du territoire, l'existence d'un système politique plus centralisé, (plus l'armement moderne chilien ou argentin) facilitèrent la colonisation.
A la différence des sociétés inca et aztèque, hiérarchisées et pyramidales, rapidement anéanties suite à la décapitation de leur pouvoir politique — et par l'assassinat de leurs empereurs — la société indienne à l'arrivée des Espagnols, était complètement horizontale, et donc, sans sommet — sans roi ni empereur à assassiner
Les Reche/Mapuche vivaient sous le principe d'une cellule de base polygame (la polygamie permettait les alliances et la circulation des richesses) dans une maison (ruca) ; quelques maisons se regroupant en hameau. Les membres masculins du hameau appartenaient tous théoriquement à une même patrifamille, celle du personnage principal nommé ulmen, et accomplissaient périodiquement et collectivement les tâches de production.
Celui-ci qu'on nommera plus tard cacique (chef), signifiait en fait « homme riche ». Homme riche, il l'était non parce qu'il accumulait les richesses mais au sens indien de dispensateur obligé de biens et de fêtes de boisson . Quant à son pouvoir de cacique, il n'avait pas notre sens, centralisé ou cristallisé.si l'on considère le pouvoir politique comme détenu par une personne (individuelle, morale ou collective), dotée des moyens coercitifs de contraindre, le chef reche n'en détenait pas. Il n'était en quelque sorte pas un chef. Les figures du pouvoir étaient d'ailleurs multiples. Le chamane (machi), le « chef » religieux) les guerriers (cona), représentaient autant de figures individuelles ou collectives de l'exercice d'un certain type de pouvoir. Cependant, l' ulmen gardait possibilité d'influencer, de rendre plus ou moins probable une décision par le pouvoir de sa parole et ses talents oratoires ,comme son prestige de guerrier.
« Les réseaux de pouvoir présentent ainsi la caractéristique d'être fluides, labiles, en perpétuel mouvement. Il apparaît enfin clairement que le prestige, précondition et signe de l'exercice du pouvoir, est une « substance » extrêmement volatile, tout comme la reconnaissance dont jouit un bon chamane peut à n'importe quel moment tourner et le transformer en sorcier dont les pouvoirs invisibles agissent alors contre la communauté.
La caractéristique principale du pouvoir politique dans la société reche en particulier, et dans les sociétés multicéphales en général, est son instabilité et le fait qu'il est sujet à des processus d'inversion et d'englobement permanents puisqu'il s'incarne dans de multiples figures qui construisent concurremment, antagoniquement ou complémentairement leur propre réseau. C'est uniquement à partir de cette définition du pouvoir politique qu'il nous semble possible de dire que la société reche est une « société contre l'État » ou que ce qui fonde le mode d'existence social reche c'est « le refus de l'émergence du Prince, le refus d'une soumission à une instance extérieure »'^1. De ce point de vue, le ulmen polygame, guerrier, habile orateur, généreux et centre d'un ample réseau de parents apparaît comme la première figure d'un certain type de pouvoir politique. Son pouvoir ne se cristallise pas de façon permanente sous forme d'hégémonie sociopolitique mais il est diffus et opère de façon discontinue, uniquement dans certains contextes. Il n'est pas extracommunautaire mais s'exerce au sein même de la trame sociale formée Par les groupes de consanguins et alliés et renvoie à un rapport bien particulier du sujet à la loi, un « rapport d'immanence »132. Il n'est pas « acquis » une fois pour toute mais d'une grande instabilité et nécessite une réaffirmation Permanente de sa légitimité. En outre, le ulmen ne constitue pas l'unique figure du pouvoir mais l'un des multiples points d'un espace politique Polycentrique. Le pouvoir exercé par le ulmen ne lui permet pas d'accumuler des richesses et d'exploiter les membres de sa communauté mais rend possible la concentration momentanée de flux de prestige et assigne à la dépense une place de choix dans la panoplie des moyens d'action politique. Il est néanmoins pouvoir car il est disposé à influencer, mettre l'accent sur tel ou tel point, rendre plus ou moins probable, possible, efficace... » Guillaume Boccara. Guerre Et Ethnogenèse Mapuche Dans Le Chili Colonial. L'Harmattan
Les hameaux dispersés appartenaient à un même territoire (lebo) où se réglaient les problèmes intérieurs (justice) et extérieurs (guerre, alliance). Ce territoire comportait un centre religieux (rewe, le « lieu vrai », pur, authentique) qui lui donnait sens et qui symbolisait l'unité du groupe et fonctionnait comme « centre du monde » ; montagne sacrée où l'on pouvait bénéficier de la bienveillance des ancêtres qui y résidaient. Cette unité constituait le premier niveau de la différenciation identitaire, car on ne sacrifiait, ni ne décapitait (sort réservé aux prisonniers) quelqu'un appartenant à son lebo. Cet agrégat formait ainsi une double frontière, d'ordre sociopolitique et identitaire. Les sources espagnols ne manquent jamais d'insister sur le fait d'indiens sans fois, ni lois , sans religions ,ni dieu. En fait il existait un culte des ancêtres (Pillân),anciens guerriers, caciques ou chamanes décédés,et la croyance en un monde autre peuplé d'esprits, âmes et divinités structurées hiérarchiquement et présentant une homologie avec ce monde-ci. Il y aurait eu un grand Pillan, (non le dieu monothéiste) mais un ancêtre mythique considéré comme le plus grand des ulmen.
« Comme nous le signalions antérieurement, il existe au sein du lebo des personnes qui incarnent l'unité du groupe et « représentent » la Communauté dans ses rapports avec l'extérieur. Ces individus investis du « pouvoir de représentation » ne sont cependant pas l'incarnation d'une autorité extracommunautaire. Car dans ces sociétés de face-à-face ", les contrôles qui s'exercent sur les porte-paroles sont multiples et il semble que ce soit effectivement le groupe qui agit et s'exprime à travers eux. De fait, avant de prendre des décisions qui engagent leur groupe envers d'autres rewe, ces mandataires se doivent de réunir les membres de leur communauté. Cependant, si le droit de tous à disposer de la parole est assuré, et s'il est possible de parler d'isigoria ou de « démocratie primitive », on verra que les mots, opinions et discours prononcés par des personnes de statuts différents n'ont pas tous le même poids. Mais une fois encore, et bien que ces personnes aient la possibilité d'influencer, de rendre plus ou moins probable, de détourner..., il reste qu'en aucun cas la communauté ne consentira à suivre et à se soumettre aux désirs et intérêts d'un seul individu. De sorte qu'il semble tout à fait légitime de parler de sociétés faisant obstacle à l'émergence de l'État ou de sociétés indivises. Ceci étant posé, il convient de décrire les particularités et caractéristiques de cette mécanique du pouvoir dans ses relations avec l'extérieur. C'est ce que nous tenterons de faire plus loin au sujet de la guerre. Attachons-nous à présent à montrer en quoi il nous est permis d'affirmer que le rewe se présente comme agrégat solidaire et autonome dans ses relations avec l'extérieur. », Guillaume Boccara. Guerre Et Ethnogenèse Mapuche Dans Le Chili Colonial. L'Harmattan
A suivre