Camille Loivier vient de publier deux livres : La Terre tourne plus vite aux éditions Tarabuste et Éparpillements aux éditions Isabelle Sauvage. Extraits.
Je suis partie en Chine
en suivant la route du bouddhisme
de l'Inde au Japon
en passant par Angkor en rêve
À Nankin
j'appris que la femme
est une vessie vide
dans un rire plein de postillons
j'ai persisté
jusqu'à Paris où j'ai eu
mon U.V
sans avoir répondu à
une seule question
longtemps j'ai continué
sur cette voie
sans plus l'idée du maître
qui m'indiqua
quelques repères
précieusement gardés
sur deux bouts de papier
transpercés d'une aiguille
puis j'ai perdu le désir
du non-désir
renoncé au détachement
pour m'attendrir et j'ai enfin
connu la souffrance
l'amour et la naissance
la mort la maladie
l'attente désespérée de ce qui ne vient pas
la joie qui ne dure pas
inquiète et frémissante
j'ai la sagesse de ne plus croire
ce monde éphémère
et de m'y accrocher avec les
ventouses du lierre
je peux à nouveau jouer
du Chopin sans plus broyer du noir
et marcher dans la forêt au printemps
sans étouffer
je ne connais plus ni l'angoisse
ni le spleen, ni dépressive
ni mélancolique
le chapelet que je porte
gravé d'amidôfu
ne sera jamais lisse
et ne m'attache
qu'à toi.
Camille Loivier, La Terre tourne plus vite, Tarabuste, 2016, 104 p., 12€, pp. 16 et 17
/
et nous avons enfin trouvé un logement
nous sommes cette mère dont tu as été privé
nous sommes les lèvres de ta mère
les livres perdus mêlés et non rendus
les livres qui étaient les mots confiés
nous sommes les livres de la mère
et nous avons enfin trouvé notre place
mais tu cherches encore ceux qui manquent
je suis le fauteuil je suis la mère
de ta mère dont elle ne s'est jamais
souvenue je suis auprès d'elle
chaque nuit je suis avec elle pour
qu'elle me voie au réveil
je suis la mère de ta mère et
je te souris
(…) /
je suis le fauteuil douce pas fière et fort instruite
je suis les femmes
jeunes et mélancoliques
attendant ce qui adviendra
je suis la jeune fille et la vie
la reine des aulnes
je n'ai pas peur du silence en lui
je ne crains rien réserve et obscurité sont mes amies
bientôt la famille sera rassemblée
il ne reste que ma fille sur terre
mais rien n'effacera l'année où j'ai dû
abandonner mes enfants seuls dans le monde
(tais-toi tais-toi ta vieille rengaine ne touche personne)
je suis le fauteuil je viens pour apaiser
lénifier toute douleur allonge-toi
quelques instants regarde par la fenêtre
qu'il fait bon fait bon fait bon
pas de rires d'enfants dans le jardin
pas de jardin que des petits arbres
qui font tomber leurs fruits
(reviens vite)
je suis la durée je suis l'aiôn je suis le déroulé
que l'on n'entend pas passer
je cours je vire dans le silence du matin
quand tout le monde dort encore
je suis la rose des sables
sable rouge qui tombe
directement dans la mer
sable et sel unis pour se
dessécher et fondre dans le vent
— les ondulations des dunes forment des drapés de peaux de tigres couchés au sol abattus —
(je suis à la croisée des chemins la joie
qui naît de la peine le jonc qui pousse au bord
de l'étang je suis la vie féconde déchaînée
le puits noir dans lequel tombe toute pensée
l'esprit fin est ce que je veux explorer)
je suis le milieu dans lequel je vis
je ne suis pas seule ce qui m’entoure
je me fonds dans le rouge du fauteuil
le fauteuil pense quelque chose en moi
et la pluie de son bruit me traverse
les pensées se frôlent s’attirent
se repoussent et n’ont plus rien à dire
Camille Loivier, éparpillements, Éditions Isabelle Sauvage, 2017, 142 p., 18€, pp. 109 et 123 à 125.
Camille Loivier dans Poezibao :
Il est nuit (par A. Emaz), Enclose (A. Emaz), "Ronds d’eau", par Ludovic Degroote, (note de lecture) Camille Loivier, Joubarbe, par Antoine Emaz