Où l'on parle d'une victoire incontestée et contestable du jeune monarque aux élections législatives, et d'une explosion des camps politique qui ne fait que débuter.
Désertion citoyenne ou grève civique ?
C'est un raz-de-marée. L'abstention au soir du second tour des élections législatives dépasse les 57%. La presse principale commente avec ravissement ce parlement quasiment intégralement renouvelé. Il y a tant d'inconnu(e)s, des jeunes, des femmes. On ne critiquera pas Macron sur la forme. Avec lui, les plats sont toujours bien présentés, la table est toujours dressée avec goût, l'hôte est toujours souriant et sérieux.
Les vrais sujets sont ailleurs.
Il était temps que cette séquence électorale se termine.
L'électorat désabusé ne vote plus, ou si peu. De ce désintérêt massif, le gouvernement n'en tire aucune leçon, ou si peu. Il appliquera son programme, qu'il dévoile dans les détails, enfin. Il "réformera" en profondeur. Macron appelait cela un hold-up... quand il était candidat. Il s'apprête déjà à inscrire dans la loi habituelle des mesures sécuritaires d'exception (une ineptie démocratique), et à bouleverser le code du travail. Quand on objecte qu'il est illégitime de réformer en profondeur quand on n'a pas eu une large absolution populaire majoritaire, on se voit opposer l'argument qui tue: "l'opposition non plus".
Répétons: Mélenchon n’a pas été « mieux » élu. Mais Mélenchon ne prétend pas mettre à bas la République sociale.
L'Assemblée nationale qui sort des urnes ce dimanche soir est illégitime politiquement. Personne, même à gauche, ne peut prétendre s'engager à lui imposer des (contre-)réformes qu'il n'a pas choisies. Le scrutin majoritaire à deux tours, cette anomalie française, a fait long feu. Mais la Macronista lui trouve évidemment des grâces: "Je préfère le scrutin majoritaire mais on ne peut laisser en dehors de l’Assemblée nationale des courants politiques puissants." explique, pour ne rien dire, le premier ministre. Et il ajoute cette phrase curieuse: "Il faut veiller à ce que des territoires soient représentés."
Les territoires ? C'est la France qui est mal représentée. Quelque 432 députés sortants ont été éjectés, du jamais vu. La quasi-totalité des ministres Hollande qui se présentaient, à l'exception notable d'un Stéphane Le Foll épargné de concurrence macroniste dans son fief de la Sarthe, a dégagé. A la place, une Assemblée plus jeune, plus féminine, plus novice. Marine Le Pen gagne enfin une place au Palais Bourbon, ce qui lui permet de recouvrer une immunité que le Parlement européen venait de lui supprimer dans l'enquête pour emplois fictifs qui l'inquiète.
Déboulent à l'Assemblée des clones de la Macronista élus souvent sans expérience mais grâce à l'étiquette du jeune monarque clairement affichée sur le bleu de leurs affiches. Les premières interviews de quelques-un(e)s sont sidérantes de flous, de vagues, d'éléments de langage mal digérés. L'un défend Ferrand au motif qu'imposer la morale en politique serait comme la Charia. Un autre, matheux de profession, explique que l'immigration est l'un des problème de l'Education nationale (sic!). Une troisième, ex-assistante parlementaire, justifie la démarche démocratique d'une loi travail par ordonnance.
Edouard Philippe l'a promis, son second gouvernement sera davantage ouvert à la droite. On lui fait confiance. La confirmation arrive tardivement.
Car il y a une autre crise.
Macron fragilisé ?
Le conseil d'administration de la start-up France vire déjà 3 ministres. Une quatrième lâche l'éponge, par honneur. La Macronista a la période d'essai courte, un préambule de la future loi travail ? Le premier, sur instruction présidentielle. Car le jeune monarque décide de tout depuis l’Élysée. Hollande n'avait pas ce talent. Sarkozy oui. Macron débarque Ferrand, empêtré dans des affaires peu éthiques d'enrichissement personnel sur fond d'abus de bien social qui lui vaudront peut -être une mise en examen. Richard Ferrand, secrétaire général d'En Marche, ex-député socialiste, réélu dimanche, et ministre de la cohésion des territoires, est exfiltré dès lundi pour devenir patron du groupe pléthorique des 350 députés, souvent novices, de LREM. Un mois auparavant, le porte-parole de la Macronista, Christophe Castaner, expliquait pourtant: "il n'y a pas d'affaire Ferrand". Sa langue de bois a fait long feu. Macron explique en privé que la présence de Ferrand au gouvernement "fragilise le gouvernement" (dixit le Canard Enchaîné).
Samedi, les 308 députés En Marche élisent à l'unanimité moins 2 abstentions Richard Ferrand comme leur président de groupe à l'AN. Voici une majorité qui se révèle bien godillot pour sa première épreuve de vérité avec l'éthique politique.
Un vote à main levée, un candidat unique, des députés soumis: la république est en marche arrière avec ces gens-là.
Mardi, Sylvie Goulard, "ministre des Armées", lâche car elle veut "défendre son honneur". Le Modemgate, cette affaire de soupçon d'emplois fictifs par les députés européens Modem , dénoncée par revanche par un élu frontiste, est une grenade dégoupillée qui explose enfin en direct le premier gouvernement Macron. En démissionnant, Sylvie Goulard valide le Modemgate et plombe la défense du président du Modem qui est par ailleurs... Garde des Sceaux. On comprend que Bayrou se fasse du mouron. Il venait de redevenir ministre, après deux décennies de traversée du désert et autant de leçons d'éthique politique délivrées. Son adjointe Marielle de Sarnez, ministre des affaires européennes, craque doucement dès mardi sous la pression du premier ministre.
Bayrou démissionne mercredi, de Sarnez suit quelques heures après.
Quel parti de pitres!
Bayrou dénonce une dénonciation, joli lapsus. Il précise qu'il "ne démissionne pas", mais simplement qu'il "ne fera pas partie du prochain gouvernement". "Alternative facts" ? Le maire de Pau a la défense fragile. France info publie aussitôt l'interview d'un ancien assistant parlementaire employé fictivement au Parlement européen par le Modem alors dirigé par Bayrou.
Mercredi, le second gouvernement Macron est confirmé, il est pléthorique, avec davantage d'inconnu(e)s encore. Des "experts" nous dit-on, pour rassurer.
A l'Elysée, Macron finalise la nomination de son "gouvernement bis", 45 conseillers, rien que cela, pour tenir la laisse de ces ministres sans relief et aux équipes réduites.
Quelle opposition à Macron ?
Mardi, Jupiter fait du vélo au Touquet, polo rose, mocassins bleus. C'est un joli rallye, un "moment privé" explique-t-il. Sarko faisait aussi du vélo, mais de course. Le parallèle des communications n'est pas du hasard, tout est construit. Le parcours laisse quelques espaces à la presse, et même au micro du Quotidien de Yann Barthès. "Le rôle du président de la République n'est pas de faire de commentaires." répète Macron quand le journaliste l'interroge sur le Modemgate.
Jeudi, la petite vingtaine de députés de la France insoumise s'attend et entre en groupe à l'Assemblée. Tout est pensé, là aussi. Image contre image. Après un court point presse devant le parlement, une nuée de journalistes suit le groupe faire ses premiers pas, le bras levé en criant "Résistance". Les contre-pouvoirs seront faibles à l'Assemblée nationale. Il faut bien qu'ils se montrent forts, qu'ils captent plus fortement encore cette précieuse attention médiatique.
Surtout, quel autre groupe a cette homogénéité politique - sociale, écologiste et humaniste - dans l'hémicycle ? Aucun. Les députés socialistes réélisent discrètement l'un de leurs rescapés de la "vague" macroniste à la tête de leur groupe, comme un réflexe de survie malgré les dissensions et la mise en vente de leur sièges locaux pour éviter la faillite financière: Valls a été dégagé, et déjà une poignée de socialistes préviennent qu'ils veulent collaborer avec Macron - qui n'a plus besoin d'eux. La droite se fracture plus durement en deux camps séparés - les "constructifs de droite" incarnés par Thierry Solère (LR) et Jean-Christophe Lagarde (UDI) contre les "Républicains" incarnés par Christian Jacob, Laurent Wauquiez et Eric Ciotti.
Vendredi, le ministre de l'Intérieur, l'ex-socialiste Gérard Collomb est à Calais. Le Défenseur des Droits et plusieurs associations interpellent depuis des semaines le nouveau pouvoir sur la situation humanitaire désastreuse des réfugiés. Des centaines de migrants tentent toujours de passer la Manche. La destruction de la "Jungle", ce campement sauvage gigantesque, n'y a rien changé. Collomb prévient: "Il n'y aura pas de centre ouvert ici". Il dénonce des migrants "enkystés" sur place, refuse toute aide humanitaire. Pire, il recommande aux associations humanitaires locales de "déployer leur savoir-faire ailleurs". Les identitaires applaudissent. On a la nausée. Fallait-il voter contre Le Pen pour hériter de cela ?
Au même moment, en pleine conférence de presse avec Angela Merkel, le président Sourire explique que "nous devons accueillir des réfugiés car c'est notre tradition et notre honneur". A Calais, son sinistre ministre conseille au contraire aux associations d'aide aux réfugiés de quitter les lieux.
Nausée.
Emmanuel Macron à 15h vs Gérard Collomb à 8h sur la question des réfugiés. pic.twitter.com/xbZ7LPqIv7 — Brut FR (@brutofficiel) 23 juin 2017
Enfin la loi Travail!
Aussitôt victorieux, le gouvernement transmet au Conseil d'Etat son projet de réforme du code du travail, celui-là même qui sera prochainement voté par ordonnance, c'est-à-dire sans débat parlementaire.
Pourquoi fallait-il attendre après les élections pour enfin connaître le détail de cette loi ? L'hypocrisie du gouvernement Macron est crasse, presque insultante.
Le projet de loi, que l'on devine facilement voté par une majorité novice et au pas, comprend la barémisation des indemnités prudhommales (c'est-à-dire la création de planchers et plafonds obligatoires, sauf dans certains cas non détaillés); la facilitation du licenciement économique dans les filiales de multinationales implantées en France; le recours au "CDI de projets" (quel oxymore!); la réduction des délais de recours contentieux en cas de rupture du contrat de travail, la simplification du compte pénibilité; la fusion des instances représentatives du personnel; la facilitation des référendums d'entreprise pour court-circuiter les syndicats; et, surtout, l'élargissement du champ des accords d'entreprise pour assurer la primauté complète de ces accords sur les accords de branches. Sur ce dernier point, la loi El-Khomri avait autorisé les entreprises à déroger aux accords de branche sur le temps de travail. Le gouvernement ne précise pas quels sont les nouveaux items qui seront à leur tour exfiltrés des branches.
Même la fusion des instances du personnel est loin d'être technique ou anodine. L'ex-DRH devenue ministre du travail, qui par ailleurs a porté plainte contre son personnel à cause des fuites sur le projet parues dans la presse, expliquait le 13 juin dernier qu'une "chose est certaine, en rassemblant ces instances, nous voulons donner plus de matière à discuter au sein des entreprises." En fait, c'est tout l'inverse: en fusionnant les instances (CHSCT, délégués du personnel, délégués syndicaux et CE), le gouvernement va surcharger l'agenda des instances devenues uniques, pour mieux paralyser le débat. La spécialisation des instances permet au contraire d'aller plus au fond des sujets.
Le gouvernement s'abrite aussi derrière ces "48 réunions de concertation" avec les partenaires sociaux dont la première salve s'achève cette semaine. 48 réunions pour discuter d'un projet très favorable aux thèses du grand patronat; 48 réunions qui, quand on décompte le nombre d'organisations participantes et de meetings bilatéraux, se résument en fait à deux heures de questions orales par organisation.
Une belle arnaque!
L'équipe Macron ne prend même pas la peine d'offrir quelques gages ou droits nouveaux si chers aux adeptes de la flexi-sécurité. Ce projet ne contient rien de mieux pour les salariés, absolument rien sauf la promesse de jours meilleurs. Il ne privilégie même pas les TPE et PME par rapport aux grands groupes, bien au contraire.
Comment votera cette majorité ? Comment voterons ces députés LREM qui se présentent encore comme socialistes ?
Ami macroniste, où es-tu ?