[Critique] LA CITÉ DE DIEU
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Titre original : Cidade de Deus
Note:
Origine : Brésil
Réalisateurs : Fernando Meirelles, Kátia Lund
Distribution : Alexandre Rodrigues, Leandro Firmino da Hora, Phellipe Haagensen, Matheus Nachtergaele, Seu Jorge, Jonathan Haagensen…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 12 mars 2003
Le Pitch :
La Cité de Dieu, favela violente de Rio de Janeiro : alors que ses amis rejoignent les gangs pour vivre des braquages et du trafic de drogue, Buscapé veut devenir photographe. Témoin de l’évolution de son quartier, il raconte, sur une période allant des années 60 aux années 70, comment La Cité de Dieu est passée du trio Ternura au règne de terreur du sanguinaire Zé Pequeno…
La Critique de La Cité de Dieu :
Auréolé de multiples récompenses et d’une réputation flatteuse, l’adaptation du roman de Paulo Lins a fait l’effet d’une bombe partout où il a été diffusé. Chronique d’une violence ordinaire dans un quartier qui avale ses fils et les recrache sous forme de junkies et de cadavres, La Cité de Dieu montre une triste réalité qui n’épargne personne, et encore moins ses enfants. Si le sujet semble déjà vu, le film évite toute redite et les sentiers balisés pour s’impose comme un monument du genre.
Loin de la carte postale
Des gamins armés jusqu’aux dents, deux gangs prêts à s’affronter à mort, La Cité de Dieu pose le cadre dès les premières images. Celui qui dirigera, une dizaine d’années plus tard, la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Rio ne fait pas les affaires du ministère du Tourisme local. Loin, très loin du Brésil fantasmé de la samba, du carnaval et autres clichés habituellement véhiculés, on se retrouve dans une réalité implacable. Celle d’un développement à deux vitesses, qui laisse les plus pauvres sur le carreau, avec la violence comme quotidien. Les favelas sont parmi les zones les plus dangereuses au monde, et les règlements de compte leur donneraient presque des airs de zones de guerre. La situation n’est pas nouvelle, comme le montrent Fernando Mireiles et Kátia Lund qui situent l’action au cœur des années 60 et 70. Cette Cité de Dieu existe vraiment. Paulo Lins l’a connue et rien n’a changé car l’équipe de tournage a été confrontée aux mêmes difficultés et aux mêmes dangers en effectuant les repérages. Le parti-pris est celui de l’ultra réalisme. D’un regard neutre. Ici, rien n’est glorifié ni condamné. Le narrateur, un ami d’enfance de l’auteur, existe réellement, comme plusieurs personnages. Pour coller au mieux à ce réalisme et que le spectateur ait un rapport direct avec les personnages, il a été choisi de tourner avec des acteurs inconnus, dont plusieurs venaient du quartier, ainsi que le chanteur Seu Jorge. Ce soucis de véracité et de spontanéité, on le retrouve tout au long du film, avec des parties de dialogues improvisées et aucune scène qui pourrait sembler farfelues ou tirée par les cheveux, ce qui contribue à la réussite du projet.
Il était une fois Rio de Janeiro
L’autre atout du film, c’est qu’il possède de solides références tout en traçant sa propre route. La violence urbaine entre gangs, le langage de rue, le cadre collent parfaitement aux films de ghetto américains et permettent au film de se frotter à des classiques comme Boys N The Hood ou Menace II Society. Les codes narratifs, la multitude de malfrats hauts en couleurs et le fait que le film s’étire sur une durée assez longue pour voir la déliquescence d’un quartier, d’une ville depuis un trio de petites frappes au règne d’un gangster psychopathe évoque les grands polars comme Les Affranchis, ou encore Il était une fois le Bronx. Pour autant, si ces codes sont présents, La Cité de Dieu sait s’en affranchir avec quelque chose de nouveau. D’abord, par le fait qu’il n’y a aucune star au générique, aucune tête connue qui va rejouer les situations avec un jeu hérité des grandes écoles de théâtre. Les acteurs connaissent le coin, son histoire, l’ont vécu pour certains et le retranscrivent avec toute leur spontanéité et leur générosité. Ensuite, avec des immenses qualités techniques. La photographie de Cesar Charlone a ce grain d’image à l’ancienne et se montre tour à tour chaleureuse ou très froide comme pour insister sur le caractère dramatique et plombant à la fois. Mais le plus bluffant est le montage. Sublimant à merveille les mouvements de caméra audacieux, Daniel Rezende nous offre un montage parfois nerveux et souvent inventif, des qualités qu’on retrouvera plus tard dans Troupe d’Élite de Jose Padilha (qui, sur un sujet similaire montre, sans parti pris aucun, la vision des policiers qui exercent dans les favelas) ainsi que dans The Tree of Life de Terrence Malick (un montage qui a fait de ce dernier film une expérience unique). Le tout porté par une B.O. très riche et en phase avec le cadre de l’époque (de la musique brésilienne et aussi beaucoup de funk pour coller au mieux avec la partie des 70’s, très travaillée aussi au niveau des looks des personnages).
La Cité de Dieu est l’œuvre de personnes qui connaissent bien leur sujet et ont su produire un film fort tout en restant neutre, à la croisée des chemins entre fiction et documentaire
En Bref…
Nerveux et violent du début à la fin, La Cité de Dieu porte un regard désabusé et lucide sur la vie dans les favelas. Venu d’un pays dont le cinéma local ne connaît pas une forte exposition médiatique, il dépasse le stade du petit film venu d’ailleurs pour s’imposer à la table des grands standards, des monuments du genre. Le tout avec un petit budget mais une grande honnêteté, un réalisme dur et des qualités exceptionnelles. On ne voit pas du tout les deux heures défiler et au final, on ressort avec la sensation de s’être pris une puissante droite.
@ Nicolas Cambon
Crédits photos : Mars Distribution