Magazine Société
L’association Annaud-Dewaere ne fut
pas immédiatement anneau de verre, une alliance transparente. Entre les deux
hommes le torchon brûla.
On est en 1978, Dewaere est déjà un
grand acteur. Il vient de tourner Préparez vos mouchoirs (de Bertrand Blier)
sponsorisé par Kleenex et où il partage la vedette avec Depardieu, Serrault et
Carole Laure. Un film trépidant qui laisse le mou choir et où l’on ne sent
guère Dewaere lent ni d’art gothique. Annaud, lui, n’a qu’un seul film à son
actif La victoire en chantant, réalisé en 1976.
Annaud voit bien Dewaere dans son
prochain film et lui présente le synopsis.
Il s’agit de parler d’un mec,
footballeur violent, et avant-gardiste du coup de boule à la Zidane. Sur le
coup, franc comme il est, Dewaere refuse : il ne peut interpréter le rôle
d’un violent !
-
Il
ne faut pas qu’à sa folie Annaud m’allie, s’insurge Patrick !
Annaud insiste, lui tend les
feuillets et dit :
Lis les ce week-end et on en
reparle !
Alors Patrick patraque, pas trop pitre à
troquer son image de mâle contre celle d’une brute épaisse, se met
difficilement dans la lecture.
Le début lui apparaît
effrayant : le scénario prévoit une voix off pour décrire l’éclosion du
monstre. Elle dit :
L’allée Thiers – Dewaere, maire ! Oui, maire d’un village qui
s’ennuie ! Quel tableau !
Patrick est furieux : le héros
porte son nom et on se permet de faire des jeux de mots sur son patronyme
(encore qu’il s’appelle réellement Patrick Bourdeaux mais voilà Bourg d’eau ça
faisait trop régime de Vichy). Pourtant il poursuit :
Maire qui se souvient de ses jeunes
années, quand il était footballeur professionnel ! A l’époque, on le
craignait : qui affrontait Dewaere balisait ! Dans la vérité des
plaintes déposées il n’y avait que Dewaere à citer ! Son entraîneur
l’admettait : Mais avec Dewaere sain j’ai tôt rixes, alors, vous imaginez,
quand il boit ! D’un coup de boule il vous fracasse un nez vite
fait ! Ce n’est pas pour rien que son expression favorite est
« néanmoins… » !
Patrick n’en peut déjà plus :
Annaud le campe dans un personnage de verres ! De verres à boire ! Un
alcoolo ! Lui ! Il n’empêche : il veut savoir la suite…
Les propos de l’entraîner son
corroborés par le curé qui a suivi le jeune homme, de manière assidu et qui
déclare : c’était la soupe à la grimace quand on donnait à Dewaere
missel ! Ca me laissait sans son de voir Dewaere aux niques !
Patrick n’en peut plus ! Il
n’ira pas plus loin ! Déchire les feuillets qui retombent comme des
valseuses dans la corbeille. Il téléphone à Jean Jacques :
- Hé, dis donc ? Tu crois que je
vais jouer dans un tel navet ? Un torchon qui me décrédibilise ?
- Mais, heu, ça ne te plaît pas ?
- Non ! Je veux bien joueur un
footeux mais ni alcoolique et ni violent ! Revois ta copie !
Et c’est ainsi que Monsieur Annaud,
sur ces précieux conseils, réécrivit tout le scénario, lui conférant un gage
d’adhésion de la part de l’acteur. Il était mûr Annaud pour Dewaere, confia un
vénitien qui les avait connus tous les deux à la Mostra.
La preuve : le film se créa et
connut un certain succès ! Surtout sur le long terme, à l’aide du petit
écran.
Pour les besoins du film, Dewaere
s’appela François Perrin pour faire comme Pierre Richard dans les films de
Veber ou de Robert. Il endossa le rôle d’un
footballeur injustement accusé de viol, emprisonné, puis repêché pour jouer
dans une équipe diminuée à la suite d’un accident routier.
Un gentil héros qui menace de se
venger : se faire faucon, l’heureux Perrin peut ; se faire faux :
qu’on le repère un peu ! Mais finalement il ne fait rien et laisse les
méchants se punir eux-mêmes !
On est loin du film casse-gueule
initial qui aurait donné de vilaines idées à des footballeurs !
Encore que, Zizou, en 2006…