En apprenant la mort de Joseph Julien Guglielmi, je me suis souvenu de notre première rencontre, à Marseille en juin 1960, lorsque j’étais « descendu » pour la première fois de Paris à Marseille, pour le rencontrer, ainsi qu’Henri Deluy car c’était leur revue action poétique qui avait publié mes premiers poèmes. À l’époque il n’avait pas encore ajouté Julien à son prénom. C’était Joseph, l’ami Jo.
Quand un poète nous quitte, c’est la triste occasion de relire son œuvre. Elle est chez lui d’une étonnante vigueur et d’une grande diversité (également sur le plan éditorial puisque Guglielmi a publié chez Comp’Act, Flammarion, P.OL, Farrago, Orange Export et bien d’autres).
Aujourd’hui je me bornerai à donner à lire cet article que je viens de traduire. Dirigeant alors l’Institut Français de Francfort sur le Main, j’ai pu y inviter de nombreux poètes français. Jo était venu à la fin de l’hiver 1990. J’ai retrouvé dans un de ses livres de notre bibliothèque ce compte-rendu de sa lecture.
Un talentueux barbare
Joseph Guglielmi lit ses poèmes à l’Institut Français/ La langue n’est pas sacrée
Celui qui ne le connaissait pas a dû être surpris lorsqu’après la petite réception à l’Institut Français ce fut justement ce monsieur en pull rouge vif, en jeans et en baskets qui s’avança devant le public et prit un des livres disposés sur la table. « C’est lui, Joseph Guglielmi ? » chuchota une dame pour qui un poète doit se présenter autrement. Et effectivement : si on croisait dans la rue cet écrivain réputé, et non seulement en France, on serait tenté de lui donner quelques francs pour qu’il s’achète une bière au lieu de, comme après cette lecture, lui faire dédicacer ses livres.
Avec sa bague à l’auriculaire de la main droite, sa chaîne dorée autour du cou et sa moustache grise de phoque, Guglielmi a la rude allure d’un artiste impitoyable, d’un talentueux barbare. Le rôle du « prolo », parmi les poètes français, lui convient. Non que sa poésie soit brute de coffrage ou non raffinée, au contraire ! Mais à la différence de nombre de ses confrères poètes, la langue française n’est pas pour lui sacrée ou intouchable. Guglielmi ose même trouver le français « plat » et la langue allemande « musicale ». Quand il parsème ses poèmes de constructions verbales italiennes, provençales, anglaises ou allemandes, confie le poète, c’est pour tenter de conférer à la langue française un « relief nouveau ».
« Amour », « mort », « merde », « sexe », dans la communauté des vocables il n’y a pour lui aucune hiérarchie, prévint d’emblée Guglielmi. Cet avertissement était bienvenu. Car ce qui s’est déversé ensuite sur l’auditoire lui en demandait beaucoup, une avalanche de vers, une effusion de langage. Les poèmes tirés des recueils Fins de vers et Le mouvement de la mort cassent la prosodie habituelle, détruisent les relations de sens, jouent avec des échos et l’atonalité.
Le livre dans la main gauche, la droite marquant le rythme, Guglielmi a lu ses vers à perdre haleine, reprenant souffle, buvant une gorgée d’eau et replongeant dans le cours enivrant de ses paroles. À moitié chef d’orchestre, à moitié bonimenteur de foire, il prêtait à ses poèmes une violence et une intensité dionysiaque. Lorsqu’après la lecture Guglielmi avoua qu’il était parfois ému aux larmes en lisant à haute voix ses poèmes, cela n’a sûrement surpris personne.
Ulrike Jamin
Article paru dans le
Rhein-Main-Zeitung, 10 mars 1990.
photo Marché de la poésie