Du 23 juin 2017 au 01 octobre 2017 : http://www.fondation-bemberg.fr
Une fois n'est pas coutume, Contemporanéités de l'art fait la part belle au dessin français dans notre histoire avec cette exposition de la Collection Prat. Savoir d'ou l'on vient est important même d'ans l'art contemporain et ne serait ce que pour sa propre culture générale. Les dessins de Seurat, Baudelaire, Victor Hugo sont bien plus contemporains que ce que l'on peut voir parfois de nos jours. Je vous invite à aller découvrir cette exposition , non pas seulement parce que c'est une première en France, mais parce que l'art et l'histoire ont cela en commun, c'est que c'est un éternel recommencement en ce qui concerne le dessin
Philippe Cadu
"De Poussin à Cézanne" Chefs-d'Oeuvre du dessin français de la Collection Prat
Après le musée Correr de Venise, première étape de ce bel événement en partenariat, la Fondation Bemberg est heureuse et fière d'exposer les chefs-d'oeuvre de la collection Prat. Louis-Antoine et Véronique Prat comptent certainement parmi les collectionneurs de dessins français
les plus importants au monde. Leur collection, allant du XVIIe au XIXe siècle, et dont une partie a été donnée, sous réserve d'usufruit, au Musée du Louvre, est si admirable qu'elle a eu les honneurs des plus grands musées du monde. Cette collection de dessins qui, toutes écoles confondues, réunit tous les grands noms français du XVIIe au XIXe siècle, est en soi un florilège d'artistes admirables mais, au-delà de la simple énumération de noms célèbres, il y a le plus important : des oeuvres d'une qualité rare, à la fois représentatives de ces maîtres, mais aussi le plus souvent remarquables par leur composition, leur sujet, ou par la place privilégiée qu'elles occupent dans la production de l'artiste.
Louis Antoine Prat et son épouse Véronique se sont tenus à la constitution de cette collection avec rigueur et opiniâtreté, sans jamais faillir, et c'est ce qui explique que chaque dessin ait été sélectionné avant tout pour sa qualité, que l'on envisage la chose sous l'angle de la provenance, de l'état de conservation de la feuille, ou de sa place dans l'oeuvre de tel ou tel artiste. À n'en pas douter, on devient collectionneur quand une collection forme un tout cohérent et qui peut raconter une histoire : la réunion des oeuvres fait le collectionneur.
Les neuf cents feuilles collectionnées pendant plus de quarante ans par Véronique et Louis Antoine Prat ont été remplacées par seulement une grosse centaine, au nom d'une toujours plus impérieuse recherche de la qualité, comme dans un flacon se concentre le bouquet d'un parfum, au fur et à mesure de son évaporation.
Après avoir contemplé ces dessins admirables, le mot de la fin, le plus beau, revient à Louis-Antoine Prat qui déclare " on ne possède que ce que l'on partage, qu'il s'agisse d'objets ou de savoir ".
Par un privilège insigne, au travers de ce qui passe et de ce qui reste, de cette exposition et de son remarquable catalogue donc, Louis-Antoine Prat partage avec nous les deux. Il nous permet par là même de rêver et d'apprendre, devant cette sorte d'archive spontanée, de conservation de ce qui est perdu par la force suggestive des lignes et des traits, qu'est le dessin. Enfin, Grâce soit rendue à l'amateur d'art et au collectionneur avisé de soulever de telles questions devant ces beaux dessins, témoins silencieux et vivants de sa passion pour l'art et de son goût raffiné
Philippe Cros, directeur de la Fondation Bemberg
LE COEUR REVELATEUR
Louis-Antoine Prat
Mars 1974 : c'est dans ma trentième année que, pour la première fois, j'ai levé la main dans une salle de ventes pour acquérir un dessin. Mon coeur battait aussi fou que celui de l'amant de Molly Bloom à la dernière page du monologue qui clôt Ulysses, et je n'eus, comme elle, qu'à dire oui ; ainsi m'échut une modeste feuille d'Eugène Delacroix, une étude exécutée en 1862, dans la cour des Invalides à Paris, d'après un canon qui trouverait sa place au premier plan à gauche d'une de ses dernières compositions, pourtant méditée depuis des décennies : La mort de Botzaris. Je devais retrouver le tableau correspondant, quelques années plus tard, sur un mur de l'appartement de Jacques Dupont, alors président de la Société des Amis du Louvre, lorsqu'il me demanda, en 1978, de faire partie du Conseil d'administration de cette puissante association. Des trentedeux membres qui le composaient alors, il n'en reste aujourd'hui que deux de vivants, dont moi, qui entame ma soixante-treizième année alors que la sixième exposition de ma collection ouvre ses portes. Quant au tableau de Delacroix, que j'ai passionnément essayé de faire entrer au Louvre après la mort de Jacques
Dupont, il a été plus que judicieusement acquis par le musée de Toledo, où je l'ai admiré bien plus tard. Il n'y a pas de place pour le hasard en de telles circonstances : les objets aimés et ceux dont le coeur bat en les contemplant doivent se retrouver au détour de la vie.
Il y a bien longtemps que le dessin de Delacroix ne fait plus partie de ma collection : il a été acquis en 1992 par le musée d'Ackland à Chapel Hill. En fait, il constitue un minuscule fragment de la masse des quelque neuf cents feuilles auxquelles j'ai renoncé petit à petit, après les avoir moissonnées pendant les dix premières années de mon activité de collectionneur. Je ne revois jamais un de ces dessins perdus sans un petit pincement ...au coeur. Mais s'ils sont partis en nombre, à plusieurs reprises, ça a été pour être remplacés, à chaque " révision déchirante " , par un seul autre dont je n'aurais jamais osé, à mes débuts, penser qu'il pourrait un jour m'échoir : le dernier Watteau de la série des Savoyards encore en mains privées, ou encore le monumental jeune homme de profil de Le Sueur.
Est-ce encore cela, collectionner ? Certains de mes amis m'approuvent, d'autres pas. Réunir des pièces que j'ai la faiblesse de croire exemplaires, n'est ce pas dérisoire, au regard de ce que pourrait être un ensemble bien davantage encyclopédique, où chaque artiste serait illustré sous toutes ses facettes, et non pas par un (éventuel) chef d'oeuvre, et dans lequel ne seraient pas négligés, au nom d'un absurde système de valeurs, les créateurs du troisième rang ?
Ma défense tient en une phrase, que j'emprunterai au Valmont des Liaisons dangereuses : lorsque John Malkovitch sacrifie odieusement la tendre Michelle Pfeiffer, il la lui assène par six fois, qui constituent autant de mensonges, mais aussi d'excuses : " It's beyond my control ". J'ai éprouvé le même genre de sentiment en face de La maison hantée de Seurat ou devant la Proserpine de Nicolas Poussin : il me les fallait,
et j'étais prêt à subir jusqu'à l'ordalie pour qu'elles viennent à moi.
Un tel emportement, qu'en dirait un moraliste ? Pascal y verrait sans doute l'acmé du " divertissement ". Pauvre poursuite, que celle de choses que l'on ne saurait réellement s'approprier, et dont le génie qu'elles reflètent appartient définitivement à des artistes morts depuis longtemps. L'hubris du collectionneur résiderait- elle dans cette fiction ; s'imaginer un héritier de l'artiste en confisquant momentanément une de ses oeuvres ?
D'un autre côté, la construction d'un ensemble où des préférences sont nettement affirmées devrait contenir en elle-même une sorte de justification, même si le hasard, ou la force des choses (matérielles, évidemment), jouent ici un rôle aussi déterminant que pervers. Aimer Ingres, par exemple, peut se traduire par une réunion où ses (rares) aquarelles voisinent avec des portraits à la mine de plomb, mais aussi avec des études de nus (tous ces types de techniques réunis cette fois-ci). Aimer son adversaire essentiel, mais aussi son contemporain capital, Eugène Delacroix, c'est pouvoir présenter de lui des études liées à des natures mortes comme à des gravures, un exemple de dessin rembranesque des dernières années et aussi une de ses feuilles les plus fameuses, cette Amoureuse au piano que j'ai si longtemps espérée. Exposer trois Le Brun fort différents, d'un maître dont le Louvre possède plus de trois mille feuilles, sera peut-être considéré comme un achèvement. Et pourquoi ne pas illustrer par deux dessins au moins l'art si changeant d'un Vincent, que l'histoire de l'art récente et le goût du marché tendent à réhabiliter presque à l'égal de son compagnon romain Fragonard ? [...]
Le coeur ne me bat plus aussi vite quand j'entre dans une salle des ventes, lorsque je me penche vers un dessin convoité, et que dix visages rivaux -dont au moins cinq se disent des amis- m'entourent. Effet de l'âge, sans doute. Mais ce petit muscle (comme dit Woody Allen à la fin d'Hannah et ses soeurs), dans sa moindre agitation, demeure, selon le mot de Poe (ou bien est-ce Baudelaire qui trouva une traduction géniale
au titre anglais de cette Histoire extraordinaire ?) un révélateur. Il traduit les émotions d'un homme qui a au moins appris une chose : on ne possède que ce que l'on partage, qu'il s'agisse d'objets ou de savoir. En somme, au delà des apparences, c'est d'invisible qu'il s'agit. En quarante-deux ans de collectionnisme, combien ai-je côtoyé de gens, médiocres ou admirables, mais qui tous m'ont enrichi ? Cette petite vie, dit Prospero à la fin de La Tempête, un songe en fait le tour (... and our little life is rounded with a sleep). Allons , j'ai bien rêvé !
COMMISSARIAT : Pierre Rosenberg
Pierre Rosenberg est conservateur, historien de l'art et, depuis 1995, académicien. Président-directeur du Louvre de 1994 à 2001, spécialiste du dessin et la peinture française et italienne des XVIIe et XVIIIe siècles, il est reconnu comme étant l'un des grands spécialistes de Nicolas Poussin. Ses travaux d'historien de l'art portent essentiellement sur le dessin et la peinture française et italienne des XVIIe et XVIIIe siècles ainsi que sur l'histoire du collectionnisme.
SCÉNOGRAPHIE : Nathalie Crinière
CATALOGUE : édité par Magonza, coréalisé par le Musée Correr et la Fondation Bemberg (263 pages- 29 €)
Fondation Bemberg, Hôtel d'Assézat - Place d'Assézat 31000 Toulouse - Tél : 05 61 12 06 89
Exposition ouverte de 10h à 18h et le jeudi jusqu'à 20h30
La Fondation Bemberg et l'exposition sont fermées le lundi
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