FELWINE SARR :On peut être moderne sans être occidental. La modernité occidentale a réussi dans sa version Instrumentale, technologique, sur le terrain de la conquête des libertés, du sujet, mais, sur le plan éthique et moral, a échoué faute d'assigner des buts universalisables à son projet. Fondamentalement, les sociétés produisent leur propre modernité de manière endogène. Bien sûr, elles sont en interaction, elles n'évoluent pas en vase clos. Mais on n'est pas obligé d'adouber ou de reprendre les catégories philosophiques de la modernité occidentale telles qu'elles se sont déployées. Dans la modernité occidentale, la raison est devenue le principe organisateur du social contre les ancêtres, les dieux, la tradition, parce qu'il fallait lutter contre les hégémonies venues de l'ordre religieux, traditionnel. Dans d'autres espace», le rapport entre tradition et invention du neuf ne s'est pas forcément traduit dans cette opposition frontale: La tradition est un capital symbolique que l'on peut réinterroger et que l'on peut réinjecter dans un devenir à condition d'en retenir ce qui est fécond. La tradition elle-même est changeante. Ce n'est pas un corpus figé. On la réinvente. Pour faire oeuvre de civilisation, il faut de la transmission, on ne naît pas de soi-même. Et les sociétés transmettent une matrice culturelle dans le temps, en la réarticulant. Cette réarticulation intelligente ne s'oppose pas à la production de la contemporanéité et de la modernité.
ENTRETIEN RÉALISE PAR ROSA M0U5SA0UI Ecrire l’Afrique-Mondesous la direction d'Achille Mbembe - et Felwine Sarr, Philippe Rey éd., 2017.384 pages, 20 euros
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