Chocolat
Est-ce que la mort a vraiment goût de chocolat ?
Assise sur un banc en travers des rails,
Je la vois qui tricote des bas de nylon parme
Pour les femmes et les filles que l’on vend
Bon marché à la foire de la Saint-Benoît.
L’autre jour, revenant des champignons,
J’en ai acheté deux. Une jeune et une vieille.
La jeune était bien trop belle,
Je l’ai saignée dans l’évier, mais
J’ai gardé la vieille pour garnir la cheminée.
Avec Papa et Maman, ce soir
On jouera aux cartes.
Et on mangera beaucoup de chocolats.
Maizières-lès-Metz – 2013
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Ce sera grande nuit
Y’aura trois échafauds
Le premier sera bleu
Blanc sera le deuxième
Et le troisième sera rouge
Ce sera grande nuit
Au bout du port
Un arrêt de bus
Marie-Madeleine
Te tapera de deux euros
Pour aller boire du vin blanc
Avec sa bande de mendiants
Ce sera grande nuit
Y’aura une petite église
Et tout là-haut sur son clocher
Une grande pendule toute dorée
Pour toi la lune aussi haut
Que tu l’aimais
Y’aura trois échafauds
Le premier sera bleu
Blanc sera le deuxième
Et le troisième sera rouge
Ce sera grande nuit
Si haut là-haut
Que tu l’aimais
Marie-Madeleine qui te disait
Pour toi si haut là-haut
Trois échafauds
Le premier sera bleu
Blanc sera le deuxième
Et le troisième sera rouge
Ce sera grande nuit
Une grande pendule toute dorée
Toutes les têtes vont tomber
Celles des amants c’est mérité
Si haut là-haut
Que tu l’aimais
La grande nuit
Qui te prenait
Y’aura trois échafauds
Ce sera grande nuit
Au bout du port
Marie-Madeleine
Te tapera de deux euros
Pour aller boire du vin blanc
Avec sa bande de mendiants
Y’aura un arrêt de bus
Une toute petite église
La lune trois échafauds
Le premier sera bleu
Blanc sera le deuxième
Et le troisième sera rouge
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Nice – 2007
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Que dire
Que dire du ciel qui s’éloigne de toi
Ces yeux éparpillés au bord de la terre
La pluie qui les lave est une folle mègère
Elle part traînant ses enfants dans ses linges
Puis les déverse en grappes sur les rails
Où jamais aucun train ne passe
Ni ne passera, sœur-oubliette, ni ne passera.
Ils sont ailleurs les wagons, les repus
Ils engrangent nos misères d’hier
Les plaintes, les coups, les râles
Et dorment immobiles sur des voies de garage
Larves en lourdes gestations, ils pourrissent
Dans la boue argileuse du jour éphémère
Garde tes larmes, frère-miroir, tes larmes pour demain.
De partout nous viennent des chants, des clameurs
Soudaines qui font dresser les ifs à la nuit
On a peur, on écoute en tremblant ces voix
Lointaines qui flottent et disent l’allégresse
D’être sans désir, sans futur, sans souvenirs
Rassembler la paire d’yeux qui te manque
À quoi bon, grande sœur du démon, à quoi bon.
On raconte au cœur moite des forêts
L’histoire de celui qui arpentait les pierres
Qui battait la terre au rythme de son bâton
Lui qui peinait chaque jour à mesurer la lumière
S’obstinait à se taire dans la ruche des villes
Se contentant de prier à l’angle des avenues
Pour que tout s’arrête, frères-enfants, et que respire le vent.
Paris – 2013
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Tu vois je t’écris
Tu vois je t’écris
Il ne fait pas encore nuit
Il ne fait plus tout à fait jour
Aujourd’hui la terre n’a pas tremblé
Mes mains se sont promenées
Dans les vœux sages des arbres
Leurs fleurs venaient-elles du Japon
Chacun voyage à sa façon
Mes murs ont la peau qui mue
D’avant ne reste que la poussière
Et l’image de quelques chiffons
Vite jetés à l’abandon
J’entends toujours cet air de ragtime
Que faisait le train de Vintimille
Et la bouteille de vin dans mon sac
S’impatientait des retrouvailles
La rue glissait d’odieuses caresses
Vers les balcons désertés
Un tour de clé et la lumière s’éteignait
Puis se rallumaient les braises
Jusqu’aux mots de trop
Le ressac comme la vague froide
D’un claquement de porte
À ceux qui chérissent la mer
Je réponds forêts et moissons
Ruines d’enfances blessées
Jouets cachés sous un buisson
Pour que chantent les papillons
À ceux qui craignent l’horizon
Nous offrirons de grands chevaux
Et les jeunes bisons des cavernes
Peints avec le sang en pluie
Du peuple des nuages
Tu vois je t’écris
Il ne fait pas encore jour
Il ne fait plus tout à fait nuit
Maizières-lès-Metz – 2013
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Case 23
«J’ai aboli la persistance rétinienne» déclara ce gros naze. Et moi, je l’écoutais et je picolais et je fumais et me grattais et marquais le rythme de mes pensées du talon sur le barreau de la chaise en bois blanc du bistrot des Trois Comètes, à l’angle de la rue du Souvenir et de l’avenue des Douleurs face au Parc des Soupirs. J’avançais encore un pion et la sonnerie se déclencha sur la case 23. Je venais de marquer un point décisif. Il était pas prêt de s’en remettre ce gros con, cet empaffé.
“Les subliminaires ont plus d’importance que tu ne le crois, tu sais !”
Il continuait son verbiage d’ahuri et je commençais à me fendre la poire.
«En attendant, t’as paumé cinq sacs! Persistance rétinienne et subliminaires confondus, ça te fait trente sacs de découvert. Faut que tu te réveilles, mec», lui dis-je en décrochant un clin d’œil boogie-woogie à la petite Sabrina qui nous regardait jouer du haut de ces vingt-cinq fois seize ans et demi.
Elle m’envoya un de ces putains de regards chargés de mouettes, d’hirondelles et de myriades de poissons-volants écumants de lumière, enfin un de ces regards chargés de bonheur en tube comme je les aimais. Un regard de gamine, sans perspective, sans rien de plus, une œillade comme un cahotement de piano à la Thelonius Monk, une gerbe d’étincelles sonores, un cadeau.
«Au fait, et cette série de portraits, quand est-ce que tu nous la montres ?», hurla ce grops tas en se tordant de rire. Il venait de me baiser mon pion. Vlan, tout mon bénef’ bouffé en un clin d’œil. Et merde ! Manquait plus que ça. Et puis fallait que je retourne bosser. Série de portraits, j’t’en foutrais moi !
«Bon, tu joues ou tu fais du surplace ?»
Décidemment il insistait… connard, triste connard. Au moment où je tenais ma toile. Je la voyais. Ce n’était qu’un trait, un seul trait qui courait en douceur du sommet de son chignon noir à ses yeux noirs, à son cou noir sous sa robe noire dans ce ciel noir. Un trait fin comme un cheveu, un trait noir sur fond blanc, une limite, un choix entre le jour et la nuit, une transparence, quelque chose entre fortuit et construit, quelque chose d’anodin et de pur. Un regard de gamine. Mais pas pour toi, gros lard, pas pour toi. Un visage, une apparition de cette classe, c’est pas pour ta sale gueule, pensais-je en me frottant les gonades.
«Persistance rétinienne, mon cul ! arrête de me bassiner avec tes éclairages facétieux, arrête, tu me fais sortir des verrues.»
Sur ce, je me levais en titubant. Délire, paranoïa, schyzophrénie et salade verte, voilà ce que je pensais de tout ça. Juste un peu de béton sur des apparences, alors que la petite Sabrina ramassait les pions pour ranger le jeu et éteindre ce gros con.
«Tu es sûr que tu ne veux plus jouer ?» dit-elle en se redressant vers moi, les reins cambrés et les yeux aussi et les lèvres alouette et le ventre tendu et les plis de son jean qui lui faisaient des sillons entre les cuisses.
«Non, laisse tomber, éteins-moi ce gros naze, il m’énerve avec ses sentences à trois balles, en plus il m’a bouffé vingt sacs. Tiens, sers-moi plutôt un demi avant que je n’offre mon corps à la science !»
«Imbécile, va !» Elle éteignit le gros tas qui émit encore deux ou trois bip-bip (faudrait penser à le changer, ils en faisaient des vachement plus évolués maintenant) et vint araser la mousse de mon demi en plongeant ses seins sur l’évier.
Je t’aime Sabrina chantaient les bulles dans mon verre… Je me frottais l’oreille.
C’est exactement comme ça que c’est arrivé. Il s’est mis à pleuvoir, la terre a tremblé, le monde s’est figé, s’est fractionné. On a entendu CRAC, puis ZIP, puis SCROUINCH et le jour s’est levé et Sabrina pleurait et le train s’est mis à siffler et je rentrais chez-moi en serrant mes yeux morts au fond de ma poche. C’est comme ça que tout arrive toujours. Tout le monde fout le camp. Avec deux yeux noirs au fond d’une poche et quelques miettes de tabac, aussi.
Grasse – 2005
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En guise de Bio – Dom Corrieras
1-) Autobiographie publiée en son temps sur le site Danger Poésie
Né au bord des vignes bordelaises, le jour des vendanges d’un millénaire attardé, Dom Corrieras (de son vrai nom, Isidore Paracelse), fut élevé en rase-campagne par une famille de brouettes anticléricales au beau milieu des ovins, porcins, caprins, équidés et autres gallinacés pour lesquels il entretint longtemps un respect et une admiration réciproques. Celui qui (de son vrai nom, Nicéphore Cromagnan) devint plus tard l’auteur de la célèbre recette de la « crêpe d’âme au coulis de ratafia », eut une enfance relativement enfantine, suivant brillamment l’enseignement de ses maîtres, à l’école communale, puis dans les plus prestigieuses universités du « gai savoir » diffusé en abondance par bon nombre d’estaminets de la République Franchouilleuse. Très tôt, on lui apprit à ne pas rouler les « R », à ne pas dire « minmin » pour maman et à marcher au pas… de l’oie… de Gascogne… dont on fait, chacun le sait, les illustres cadets. Manque de pot, celui qui s’appelait en réalité Ernest Sudouest, était l’aîné, autant dire l’ânon. Ceci explique sans doute son goût immodéré pour le lait d’ânesses. Il n’est donc pas étonnant que tous les portraits de lui que la postérité nous a légués (Le Louvre, L’Hermitage, la Tate Gallery, etc.) , le représentent goulûment accroché aux tétons d’une mule. Malheureusement, on perd sa trace entre la seconde moitié de l’ère glaciaire et les tous débuts du « mash potatoes », le mouvement artistique majeur qui reconnut enfin son immense génie de masturbateur frénétique. Adoncques, celui que l’on surnommera plus tard « Le branleur impénitent », mais qui en réalité se nommait Salvavore del Lupo della Steppa, nous laisse une œuvre féconde, faite essentiellement de miasmes nasales ainsi que quelques taches douteuses sur des draps rouges. Aux dernières nouvelles, le quidam en question, Toutou Assamaman, de son vrai blase (on reconnaîtra là l’origine caucasienne, voire « crétinalpestre » de son patronyme), après s’être éperdument épris d’une petite bogue de châtaigne, qui à l’automne venue s’en était trouvée préférer réintégrer l’étagère à confitures plutôt que de continuer à subir d’incessants ramonages de la part de son ânon d’amoureux… donc, disais-je, suite à cet épisode douloureux qui lui fit, au demeurant, écrire ses plus belles pages, telles que : « Ma braguette t’appelle », « Suçons-nous la quenouille », « Au printemps mes boutons explosent vers toi »… donc, donc, donc, celui que l’on identifia plus tard comme l’authentique « , « poète aux chaussures à bascule », mourut dans le bel âge, étouffé de chagrin au fond d’un sac à main de gonzesse, quelque part entre le 45ème parallèle et la rue des Trois Lilas. Depuis silence radio, sauf parfois entre 4h et 6h du matin, une longue plainte au fond du dit sac, vite réprimée à coups de culotte humide… ça fait mal ça !
Alors que dire de plus, sinon cette courte épitaphe sur la toile cirée de sa dernière tombe en date:
« étalon pour les veuves
compagnon pour les tristes ».
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