A priori, une exposition sur la peinture religieuse parisienne du XVIIIe siècle ne paye pas de mine. Connu pour son scepticisme à l’égard de la foi, son goût des sujets frivoles puis sa redécouverte de l’art antique, le siècle des Lumières n’apparaît à première vue comme une période de faste pour la peinture catholique.C’est pourtant à travers cet angle d’approche restreint que le Petit Palais attaque le mythe individualiste de l’artiste moderne, en dévoilant les processus collectifs de fabrication d’une œuvre d’art.
Lumière sur le contexte de production
Chose rare dans la muséographie contemporaine des expositions picturales : le Petit Palais s’efforce de reconstituer, autant que faire se peut, les lieux d’accrochage originels des œuvres. Un projet audacieux, qui tranche avec les parcours de plus en plus banalisés, qui, à l’instar de Rodin et de Jardins au Grand Palais, arrachent les œuvres du contexte où elles ont vu le jour et où elles trouvent leur sens.On visite ainsi avec étonnement une reconstitution à moindre échelle de la chapelle des Enfants Trouvés, détruite au XIXe siècle lors de travaux à l’Hôpital du même nom. Aussi fragmentaire en soit notre perception, nous devinons quand même au travers des toiles peintes et des trompe-l’œil la majesté du décor de Charles Natoire, et comprenons mieux l’intérêt intrinsèque de chaque œuvre au regard de son positionnement dans l’ensemble.Lorsque la reconstitution s’avère impossible, les panneaux didactiques prennent le relais. Sans gaver le public d’informations, ils esquissent cependant le cadre social, politique et intellectuel de l’Église parisienne de l’époque : plus portée à la restauration qu’à la construction (hormis Saint-Sulpice et Sainte-Geneviève), traversée par un fort courant rationaliste qui privilégie l’engagement des hommes de foi dans le monde, passant des derniers feux du baroque à la rigueur néoclassique, l’Église catholique épouse son siècle sans le dominer, au contraire des précédents.Elle a néanmoins encore suffisamment d’influence dans le milieu artistique pour s’assurer une bonne image. L’exposition réhabilite ainsi une pratique décriée par les romantiques : les commandes et autres réseaux de connaissances. Recontextualisée, la peinture religieuse dévoile les processus collectifs de production du sacré qui la sous-tendent.
L’artiste, talentueux exécutant en bout de chaîne
Ce n’est pas tant le sacré religieux que vise la mise à nu des techniques de fabrication que le sacré artistique. Depuis les philosophes de l’individu au XVIIIe, tel Diderot, et plus encore depuis la révolution romantique, l’artiste tend en effet à se représenter comme un être solitaire, un créateur qui tire son inspiration loin du commerce des hommes.Or, montrer l’insertion des artistes dans une vaste chaîne de production de l’œuvre et de sa valeur met en crise la théorie avancée par certains contemporains des Lumières, et la révèle en tant que discours largement mythifié. Certains des plus grands artistes de l’époque, comme Van Loo ou David, ont fait carrière dans la peinture religieuse via des commandes et autres exigences politiques, sans que cela n’affecte leur style : il suffit de voir le puissant Christ en croix de David, tout en verticalité et sobriété, pour s’en assurer.Quoiqu’inscrit dans une chaîne de production, l’artiste garde cependant une originalité. Talentueux exécutant, son style se mesure au degré de jeu, de variabilité, qui circule entre la demande ecclésiastique et l’offre artistique. Émergent ainsi des figures d’artistes variées : le traitement humble et réaliste, à la manière flamande, de sujets bibliques par Jean Restout (La Naissance de la Vierge), les couleurs douces et pastels de Noël Hallé (Le Christ et les enfants), la structure géométrique et profonde de Nicolas-Bernard Lépicié (La Chapelle du Calvaire à l’église Saint-Roch).Si toutes les œuvres et tous les artistes ne se valent pas, au moins leur commune exposition met elle à jour une véritable culture artistique et religieuse partagée, au sein de laquelle circulent thèmes et styles, qu’un parcours en forme de course aux chefs-d’œuvre aurait complètement dénigré.
Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes au XVIIIesiècle, au Petit Palais jusqu’au 16 juilletMaxime