La première section, " Ce jour nu sur la table ", décrit l'attente et la naissance de l'enfant. Période heureuse donc, où s'ancre aussi le sentiment d'être enfin libre (" nos regards portent loin / par-delà les blessures de l'enfance [...] // nous / sommes libres ", p.31). Pourtant, une mémoire douloureuse, celle de sa propre enfance, se rappelle au poète. Il faut, à nouveau, en affronter les " plaies " (p.32, 33, 37, 43). Mais cette naissance impose aussi une question essentielle : " qu'aurai-je à donner / à cet enfant sans nom " (p.26). Car faire face à ce qui arrive, c'est éprouver d'abord qu' " un centre / se dérobe " (p.15), que nous demeurons étrangers à ce que nous voyons (" toute l'étrangeté d'un paysage / que j'observe tous les jours ", p.17) et à ce que nous sommes (" moi qui sais que mon visage / ne me ressemble pas ", p.24).
À défaut de comprendre ce qui, de toute évidence, ne se résout pas (" personne qui sache encore / comment il se fait que l'on puisse / conjuguer le verbe être ", p.38), ces poèmes s'en tiennent à un savoir minimal : désigner et rechercher " les insectes, les oiseaux, les herbes / à nommer pour qu'il sache // que le monde entier réclame son nom " (p.34). Cet étonnement est une manière d' " être là " (p.35), d'aimer et de s'inscrire dans les infimes nuances du monde (p.35, 46). Il permet de donner toute sa place à cette vie qui vient, à ce " nous " qui, ainsi, se peuple : " (jamais nous ne fut si nombreux) " (p.48).
La seconde section décrit les sentiers le long de " la Gourgue ". Le poète les parcourt, les explore " obstinément " (p.97). Et au fil des pas et des mots, un travail introspectif se poursuit. Quelques pages avant la fin, cette tension est formulée ainsi : " voilà longtemps maintenant que je parle de la Gourgue // que je ne parle plus de la Gourgue " (p.103). S'élaborent en ce sens " un abécédaire, une géographie intime " (p.81) : ces lieux familiers désignent au poète le visage de l'enfant (p.61, 76), sa propre image (p.57, 81), sa mémoire (p.60, 71, 74).
Cette introspection sinueuse ne révèle pas le poète à lui-même tant ce " moi ", si incertain, est un " assemblage informe de parties inconnues " (p.103). Seulement, ces mots, au cœur du paysage, tentent de faire tenir une vie avec son " désordre " (p.108), de lui donner, plus qu'un sens, " une direction " pour continuer dans cet instable là.
Antoine Bertot
Cédric Le Penven, Joachim, Éditions Unes, 2017, 107 p. 19€