En mai 2005, j’ai été invité par le journaliste, reporter et consultant martiniquais Emmanuel Goujon. Parmi les multiples casquettes d’Emmanuel Goujon, il y a la production d’œuvres de fiction et l’enseignement. C’est justement dans le cadre d’un de ses cours sous forme d'atelier d’écriture à Science Po qu’il m’a convié à prendre la parole devant ses étudiants. Pour être plus précis, ces derniers avaient planché sur une nouvelle que j’avais écrite dans le cadre d’une œuvre littéraire collective et nos échanges ont donc tourné sur leurs lectures, leurs interprétations et finalement mon avis d’auteur.Rappelons que sur une période de plus d’un an, Emmanuel est venuavec certains de ses étudiants aux Palabres autour des Arts, rencontre littéraire disruptive où des lecteurs passionnés disséquaient le temps d’une soirée et sur des thèmes précis, des romans et recueils de poésie... La sortie de l’ouvrage collectif Eclats d’Afriques s’inscrit en partie dans cette démarche cohérente et délicieuse de ce romancier. Ah oui, parce que je parle, j’introduis, je papote comme dirait Guy Alexandre Sounda, mais le sujet de ce billet est bien mon regard sur cet ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Goujon et publié au premier trimestre 2016, aux éditions L’Harmattan. J’ai enfin trouvé le temps de le lire!
La technique
J’aimerais tout d’abord dire que la plupart de ces textes sont très bien écrit et remarquablement agencés. C’est une constante où on peut dire sans se tromper que le travail de sélection et d’affinage de Héloïse Voisin et Chloé Ravel y est pour quelque chose. Il est à noter que le recueil compte beaucoup de textes, plus d’une douzaine de nouvelles écrites par des étudiants qui se frottaient pour la plupart à l’exercice de la création littéraire pour la première fois, avec publication au bout du cursus. La critique n’est donc pas aisée pour moi. Toujours sur la technique, puisqu’il s’agit de nouvelles, peu de ces nouvellistes ont proposé une chute surprenante, effet souvent attendu dans ce genre littéraire.La technique englobe à mon sens également le style qui, à mon sens, est resté très académique, ce qui le contexte faisant, est somme toute assez logique. Donc, la plupart de ces textes sont relativement homogènes, avec des personnages assez récurrents : la femme violée ou traquée, le milicien tout puissant, parfois l’étudiant de Science Po en immersion (français ou étranger) dans l’univers africain.Le fond
En abordant les personnages, nous sommes renvoyés aux différents thèmes de ce recueil, avec à mon niveau, l’idée de savoir si ces angles d’observation étaient imposés ou pas. Disons que j’étais un peu interloqué par la récurrence de ce regard des éclats d’Afrique. Certes avec un tel titre, on s’attend à rentrer dans le dur. Mais, il me semble que l’on peut attendre un peu plus d’étudiants de Science Po que l’accumulation de clichés attendus sur le continent africain qui se résume aux guerres civiles, alternances politiques violentes, le Liberia, le Burundi (donc le Rwanda), l’Afrique du Sud dans sa face inquiétante. Par exemple, la nouvelle L'écorce et l'arbre de Lisa Theveniau qui nous conduit au Kenya revient sur l’alternance douloureuse entre Mwayi Kibaki et Uhuru Kenyatta avec l’écartement « frauduleux » de Raul Odinga. Pourtant, il est étonnant pour le lecteur que je suis de ne percevoir un tel pays qui a longtemps un modèle de stabilité qu’au prisme peu éclairant de ces violences. J’ai vécu quinze ans en Afrique et j’y ai vu ces conflits qui ont des sources endogènes et exogènes. Mais cela, correspond à quelques mois sur cette assez longue période.Les nouvelles que je retiendrai
Certains textes sortent du moule pour proposer un point de vue original comme l'histoire de cet étudiant parti au Burundi - le venin par les ailes, Julien Voye - pour se faire conter la tragédie de ces deux pays et en particulier les massacres au Rwanda de 1994. Le vieil homme rescapé l’interpelle sur ses motivations profondes et un voyeurisme dont il n’a visiblement pas conscience.Cette nouvelle donne lieu à une chute très réussie et une introspection réelle. L’auteur s’implique dans son corps à corps avec le Rwanda en évitant de délivrer une parole trop distante. Chloé Ravel ose quelque chose de très différent avec N'noni Nyekplohento puisqu’elle remonte le temps pour revisiter l’histoire et donner la parole à une amazone, une de ces guerrières formatées et au service du roi Gbéhanzin. Je trouve que l’auteure de cette nouvelle bien écrite a une démarche réellement originale et elle rentre vraiment dans la peau de son amazone, de cette femme irréductible. Évoquer la résistance, la rupture et l'abdication d'un peuple par le biais d'une de ces héroïnes est très fort et surtout très juste. On sort des clichés.J'aimerais citer un autre texte qui respecte parfaitement la forme de la nouvelle : Les djinns m'ont dit de Adja Marième Sy qui aborde cruellement l'obscurantisme de certains sur cette terre africaine. L'effet de surprise est quasiment total quand on a le fin mot sur un meurtre rituel.
L'article serait interminable si je rentrais dans le détail de chacune de ces nouvelles. Un très beau projet mené par Emmanuel Goujon révélant de manière générale une image attendue de ce continent. A tort, je pense et peut-être à raison aussi.
Eclats d'Afriques, une oeuvre collective dirigée par Emmanuel Goujon, Hélène Voisin et Chloé Ravel
Première parution en 2016, Editions L'Harmattan, 200 pages
Hélène Voisin, Clotilde Ravel, Akosua Asirifi, Lisa Theveniou, Eline marx, Adja Marieme Sy, Elodie le Fur, Julie trognon, Julien Voye, Solène Le Compte, Eva Plaziat, Stéphanie Tchanon