Le moins qu'on puisse dire est que l'existence de Juan Esperanza Mercedes de Santa Maria, le héros de la trilogie Un endroit d'où partir, d' Aurelia Jane Lee, n'est pas routinière indéfiniment, quelques années tout au plus, dans ce volume, pour chacune de ses périodes.
Rien n'est remis en cause, jusqu'au jour où une rencontre, un défi, une catastrophe [...] bouscule tout et amène souvent à revoir tout ce l'on croyait savoir jusque-là, l'image que l'on avait de soi et de son avenir, faisant saigner à nouveau des blessures que l'on croyait cicatrisées.
Dans ce premier volume, Juan, un - enfant exposé - sur le seuil de l'église Santa Maria de los Siete Dolores, connaît trois périodes d'apprentissage de sa vie d'homme, pendant lesquelles il bénéficie curieusement de traitements de faveur de la part des autres.
De sa naissance incertaine - on ne savait ni où ni quand exactement il était né - jusqu'à l'âge de neuf ans, il vit dans un couvent: c'est la mère Esperanza qui l'a trouvé et l'y a emporté. Il y a été recueilli faute d'avoir pu être adopté par une des familles du village.
La plus jeune des religieuses du couvent, soeur Mercedes, surtout, s'est occupée de lui. Vraie mère pour lui, elle lui a appris à lire et à écrire à partir d' un abécédaire des plus pieux. Elle en fait une maladie quand un jour il disparaît en partant avec un vélo sans plus donner signe de vie.
En fait, sans le vouloir, Juan s'est perdu et n'a pas trouvé le chemin du retour au village. Il est trouvé endormi dans un village éloigné par un palefrenier et est cette fois recueilli dans une hacienda. Il y rend de nombreux services jusqu'au jour où il est remarqué par la maîtresse des lieux.
Celle-ci, Doña Rosa Garcia de Alvarez, trouve en Juan des qualités dont sa fille Clara Luz lui semble dépourvue. Elle le confie donc à un précepteur, Don Isaac Pérez Muños, qu'elle a pris sous son aile et qui transmet au jeune Juan de nombreuses choses.
Mais la connaissance, selon Don Isaac, n'est qu' un centième de l'intelligence : [ce sont] la justesse du jugement, la qualité du raisonnement, l'esprit critique, la discipline et les capacités d'analyse qui [font] la différence. Et c'est ainsi qu'il initie son élève brillant à la peinture...
La venue de saltimbanques, qui se donnent en spectacle plusieurs jours aux habitants de la plantation, met un terme à cette période d'apprentissage artistique et sentimental ( Étant donné la fascination de Juan pour la lumière, il n'était guère étonnant qu'il fût tombé amoureux de la bien nommée Clara Luz ).
Parmi les spectacles, il y aura celui, sulfureux, d'une jeune femme, très belle, brune et soyeuse , qui dansera sensuellement avec un puma, et, plus particulièrement encore, celui d'une chanteuse, qui, sans être vraiment belle , saura le fasciner par l'émotion pure que suscitera en lui l' onde vibratoire de sa voix...
Aux périodes d'habitudes discontinues que connaît Juan, répondent en contrepoint celles que connaissent soeur Mercedes et le père Gabriel, l'aumônier du couvent, que la présence puis l'absence de Juan ont rapprochés, si bien qu'ils voient leurs existences toutes tracées bousculées à leur tour...
Dans le cas de Juan, comme dans celui de Mercedes et de Gabriel, le monde chrétien occupe une place importante dans ce volume, dont le récit se passe dans un pays d'Amérique latine non précisé. Il sert de toile de fond aux aspirations contradictoires auxquelles sont sujets les êtres de par leur humaine condition...
Francis Richard
Un endroit d'où partir 1. Un vélo et un puma, Aurelia Jane Lee, 256 pages, Éditions Luce Wilquin