Quatrième de couverture : "Sur les rives d'un lac glaciaire au cœur de la péninsule de Kenai, en Alaska, Irene et Gary ont construit leur vie, élevé deux enfants aujourd'hui adultes. Mais après trente années d'une vie sans éclat, Gary est déterminé à bâtir sur un îlot désolé la cabane dont il a toujours rêvé. Irene se résout à l'accompagner en dépit des inexplicables maux de tête qui l'assaillent et ne lui laissent aucun répit. Entraînée malgré elle dans l'obsession de son mari, elle le voit peu à peu s'enliser dans ce projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de vie de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s'annonce un hiver précoce et violent qui rendra l'îlot encore plus inaccessible".
Ce roman, deuxième dans l'ordre chronologique de la bibliographie de l'écrivain, écrit en 2011 constitue une sorte de prolongement de "Sukkwan Island". Il y est à nouveau question de destins hors du commun de quelques êtres dans l'immensité sauvage de l'Alaska. On y retrouve la même écriture ample et précise, les mêmes interrogations sur les relations humaines (père/fils dans "Sukkwan Island", mari/femme dans "Désolations"). Ainsi que cette façon d'écrire une Nature brute, sauvage, oppressante mais droite dans ses bottes. Avec David Vann, il n'y a pas plus de miracle écologique que de rédemption pour ceux qui s'y soumettent. Elle n'offre rien à ceux qui cherchent tout. Vann est toujours aussi à l'aise dans l'écriture des conflits intérieurs et des obsessions personnelles qui détruisent l'intimité des êtres et soulignent leur non-sens. Et l'on se laisse toujours aussi facilement emporté par son style prenant, qui nous embarque et qui nous pousse dans les cordes où l'on assiste, un peu KO au naufrage annoncé de ses personnages. Encore du grand art.
Extrait : "Elle refusait toujours de le regarder et Gary sentit presque qu’il aurait dû faire un effort en cet instant, dire quelque chose pour combler la distance, faire la paix. Peut-être s’excuser pour la nuit dernière, pour lui avoir dit qu’il pensait mériter une meilleure épouse qu’elle. Mais elle l’avait attaqué la première et il n’avait pas vraiment envie de faire un effort. Il se sentait frigorifié. Il pensa pour une étrange raison à Ariane et au passage de Catulle où dans le cœur de sa promise gît un labyrinthe de chagrin, peut-être parce que les épaules d’Irene étaient voûtées. Il ne voyait pas son visage, mais à la voir scruter ainsi la neige, tout semblait perdu. Il ne se souvenait pas des vers en latin. Ariane regardait Thésée prendre la mer sur son navire, l’abandonner tout comme Énée le ferait avec Didon, et comme Gary envisageait, depuis des années, sans doute même des décennies, de le faire avec Irene. Le temps était peut-être venu de laisser mourir leur mariage. Cela vaudrait peut-être mieux pour tous les deux. Une union mal assortie dès le départ, quelque chose qui avait amoindri leurs existences. Difficile de savoir ce qui était vrai. Une part de lui-même voulait s’excuser, l’entourer de ses bras, lui dire qu’il n’avait qu’elle au monde, mais ce n’était qu’un réflexe, une habitude à laquelle il ne fallait pas se fier.
Je vais scier des rondins, dit-il."
David Vann - Desolations, Gallmeister, 336 pages, 9.8€