En général, ce qui est difficile dans la presse, c’est de réussir à décrocher des commandes de piges. C’est normal est un sens : t’es là, inconnu du bataillon, et le rédacteur en chef te confie la mission de rédiger un article en adéquation avec son journal. Mais surtout, il faut être honnête, ce qui freine la plupart du temps, c’est l’argent. Si les rédacteurs en chefs aiment les pigistes pour la fraîcheur qu’ils apportent à leurs publications, certains d’entre eux semblent penser que ces journalistes là vivent dans un monde merveilleux. Dans ce monde là, les gens n’ont ni de loyer, ni de factures à payer. Tout est gratuit ou tombe du ciel. Et comme ils n’ont pas de problèmes matériels à gérer, forcément, ils n’ont donc pas d’autres buts dans la vie que de se dévouer corps et âmes à leur magnifique métier. Ah le journalisme ! Baroudage, Tintin au Congo… Ok, ok, j’adore ce métier, c’est ma vocation. Mais personnellement, malgré mes recherches, je n’ai pas réussi à localiser ce pays des merveilles. Alors si un pigiste passant par là connaît son adresse, qu’il me fasse signe.
En attendant, comme le commun des mortels, j’ai besoin d’argent et mes piges, malgré tout le plaisir personnel que je tire à leur réalisation, me permettent aussi et surtout de vivre. Voilà donc que je prends contact avec une rédaction en proposant un papier revenant sur un évènement ayant récemment défrayé la chronique. La rédactrice en chef, pour qui j’ai déjà pigé il y a peu, me répond qu’elle transfère mon mail au « chef de rubrique » concerné, et qu’il me contactera à son tour s’il est intéressé.
Le lendemain, je reçois un mail de celui-ci me disant qu’il trouve que c’est une idée super intéressante et il est d’accord pour que je le réalise. Cool. Chose habituelle dans ce milieu, je lui demande combien de signes attend-il. C’est important car cela permet de se caler sur les besoins du magazine, et c’est en plus en fonction du nombre de signes réalisés que les pigistes sont payés. Donc, dès qu’une commande est passée, c’est en général l’une des questions dont nous discutons très vite.
Pas cette fois-ci. Il me répond sur un ton très pro « Pas de limitation de signes pour l’instant, tout va dépendre de la qualité des infos recueillies ». Waouh, intérieurement, je suis agréablement surprise. Cela veut dire qu’il n’a pas de limitation financière pour ce papier. Etonnant.
Je bosse pendant 3 jours à peu près le temps de tout organiser, la rencontre, l’interview, le lieu, photos etc. Au final, je lui livre un papier de 9 000 signes accompagnés de 4 photos. Suivant les tarifs du syndicat des journalistes, (SNJ), 1 500 signes équivalent à 60 euros. Je ne connais pas les tarifs photos, mais c’est à peu près la même chose suivant les rédactions. Vous pouvez faire le calcul vous-mêmes.
Les jours passent, l’article est publié sur le net finalement, tout va très vite… sauf pour le paiement of course. Il est fréquent que nous soyons payés un mois ou deux APRES publication. Mais des doutes commencent à m’assaillir. Et pour cause, nous n’avons pas parlé rémunération ensemble. Je n’ai pas voulu en parler d’une part, parce que ça la fout toujours un peu mal lorsque nous abordons ces questions dès le début, et puis parce que j’ai déjà pigé pour eux, donc à priori, pas de soucis. Mais encore une fois, une petite voix n’arrête pas de revenir dans ma tête, me répétant comme un fantôme à l’oreille en mode père Fourasse : « Pas… de… limitation… de signes… chhhh ».
Ca y’est, je commence à flipper. Je décide de lui envoyer un mail pour lui demander des informations. Tarifs au feuillet, tarifs photos. Et là, le père Fourasse se fait de plus en plus présent, car au bout de trois jours, il ne répond pas. Alors là, exit le père Fourasse et bonjour Rocky Balboa. Je l’appelle illico, il ne répond pas et je lui laisse un message sur un ton péremptoire : « Je n’ai toujours pas eu de réponses à mes mails, j’attends des précisions, merci ».
A travers sa messagerie, il a dû sentir mon œil du tigre, et il n’a pas traîné à me répondre, mais par mail, et là c’est la bonne blague. Il me répond qu’ils n’ont pas de budget piges pour le net, mais que comme mon travail était d’une grande qualité (gratuitement, c’est toujours de qualité), qu’il faisait le forcing auprès de son responsable financier pour que je sois payée, (merci trop sympa) mais que ce ne sera sans doute pas grand-chose.
Tel un dragon, de la fumée sort de mes narines, et je décide d’attendre le lendemain pour lui répondre car je sens que si je l’ai en ligne, là, tout de suite, ça va se finir en noms d’oiseaux.
C’est donc le lendemain, après m’être bien aérée la tête, que je lui envoie un mail du tonnerre. Cash, mais correcte. La veille, j’aurais juste été cash et incorrecte. Là, je luis sors que je suis stupéfaite de sa réponse, que lorsque l’on n’a pas de budget piges, et bien, on ne passe pas commandes, que c’est du foutage de gueule, un manque de respect, que je n’ai jamais vu ça de ma vie, que chaque pige commandée est une pige rémunérée, et que j’attends donc mon paiement en bonne et due forme. Je mets en copie son responsable financier, histoire de bien l’afficher.
Ca a dû semer la panique. Le responsable me répond direct : C’est une erreur de ma part, je vous envoie la feuille de pige, vous allez bien évidemment être payé, c’est un problème de communication entre nous.
Ouais, ouais, problème de communication, ouais… C’est ce qui arrive à force de s’exprimer en langue de rapace.