Les femmes les plus performantes du marché

Publié le 19 juin 2017 par Aicasc @aica_sc

source© artprice.com

Les femmes artistes commencent à s’imposer dans un univers dominé par des artistes masculins depuis des siècles. En témoigne les récentes sanctions positives du marché.

Depuis 30 ans se pose publiquement la question d’une sous-représentation et d’une sous-évaluation des artistes femmes par rapport à leurs homologues masculins. Depuis 30 ans, c’est à dire depuis que le groupe d’artistes féministes des Guerrilla Girls commença ses activités visant à dénoncer, depuis New York, la domination flagrante des hommes sur les cimaises des grands musées prescripteurs. Leur slogan de l’époque, « Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ? » frappait juste : la représentation des femmes dans les musées étant plus volontiers leurs mises à nu par des artistes masculins, que l’exposition de leurs créations propres. Sous-représentées au sein des institutions culturelles, elles le furent aussi (et le sont toujours) d’un point de vue commercial, ce a conduit à un retard dans la valorisation de leurs œuvres et aux fortes disparités de cotes que l’on connait, vis-à-vis des hommes.

Si la représentation des femmes demeure bien faible en regard de la domination masculine parmi les artistes les plus cotés, les grandes figures féminines sont néanmoins mieux soutenues aujourd’hui que par le passé. Le record absolu d’une grande dame de l’Impressionniste telle que Berthe Morisot est par exemple supérieur à celui de son homologue impressionniste masculin Alfred Sisley (10,9 m$ pour Après le déjeuner de Berthe MORISOT (1841-1895), Christie’s Londres le 6 février 2013 contre 9m$ pour Effet de neige à Louveciennes de Sisley). Autre exemple favorable avec Frida Kahlo : au milieu des années 1990′, ses meilleures œuvres se vendaient aux mêmes niveaux de prix que celles que son époux Diego Rivera, mais elle est désormais bien mieux cotée. Le record de Kahlo se retrouve aujourd’hui presque trois fois plus élevé que celui de ancien compagnon (avec 8m$ décrochés en mai 2016 pour Dos desnudos en el bosque, une petite toile de 25 cm de haut). Un troisième exemple étaye encore le propos, avec la revalorisation de Gabriele MÜNTER (1877-1962), dont le prix de la toile Fuchsia in Front of a Moonlit Landscape (Fuchsie vor mondlandschaft (Fuchsia in Front of a Moonlit Landscape), 1928) est passé d’environ 22 000$ à 423 300 $ en trente ans (vente du 24 juin 1986 chez Christie’s Londres, puis revente le 25 juin 2015 chez Sotheby’s, toujours à Londres). Bien que le record de cette grande Expressionniste allemande demeure six fois moindre que le sommet d’un August Macke, une telle plus-value (1 767 % en 29 ans) annonce que certaines femmes sont en cours de revalorisation. Une tendance confirmée par les performances récentes d’artistes telles que Rosemarie Trockel, Helen Frankenthaler, Barbara Hepworth ou encore Nathalie Gontcharova Le marché se réveille donc, au bénéfice des grandes artistes de la fin du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle. Mais il aura fallu attendre la raréfaction des œuvres impressionnistes, expressionnistes ou surréalistes signées au masculin et surtout, la crête de leurs prix.

De nos jours, la célébrité de créatrices aussi remarquables que Niki de Saint Phalle, Louise Bourgeois, Yayoi Kusama, Cindy Sherman, Annette Messager, Tracey Emin, Nan Goldin, Marlene Dumas ou Bridget Riley, est rassurante. D’autant que ces artistes font aussi parler d’elles sur le terrain des enchères. Certaines femmes affichent des performances aussi remarquables que les hommes, dont L.Bourgeois, Y.Kusama et C.Sherman, parmi les rares contemporaines millionnaires aux enchères. Le marché s’agite aussi sur des artistes moins connues du grand public, dont Jacqueline Humphries, une américaine qui commença à faire parler d’elle lorsque le Whitney Museum de New York commença à montrer de l’intérêt pour ses toiles abstraites. Avant le Whitney, ses meilleures œuvres ne passaient pas le seuil des 20 000 $. Après le Whitney, elles commencèrent à s’arracher à plus de 60 000$, voire à 100 000 $ (un record) pour la toile 95% (Phillips, le 15 mai 2015), une toile achetée pour 1 200 $ seulement en 1994…
De telles envolées restent rares pour des artistes encore vivantes. L’une des revalorisations les plus remarquables de la décennie, plus encore que celle de Jacqueline Humphries, concerne sa compatriote Elaine Sturtevant. Cette inspiratrice du courant « appropriationiste » su déceler de grands artistes en rejouant leurs oeuvres, dont Jasper Johns, Roy Lichtenstein, Claes Oldenburg, Andy Warhol, Joseph Beuys, Marcel Duchamp ou encore Anselm Kiefer. Le 2 décembre 2014, la société de ventes Artcurial donnait aux enchères une œuvre emblématique, Warhol’s Marilyn Monroe (1967) achetée environ 3 000 $ en 1999 (Binoche, Paris) par un collectionneur souhaitant s’en défaire 15 ans plus tard. Estimée un peu moins de 150 000 $, l’oeuvre décollait pour près de 412 000 $ le 2 décembre 2014, ce qui équivaut à une plus-value de près de 13 000% en 25 ans. Cette vente (record de l’artiste sur le sol français) advenait quelques mois après le décès d’Elaine Sturtevant et, il est vrai, le marché a toujours tendance à s’affoler après la disparition d’un ou d’une artiste emblématique, surtout il/elle est supporté(e) par le marché américain. Ses prix ont effectivement flambé en 2014-2015 avant de s’essouffler, mais les affaires pourraient reprendre autour de cette artiste visionnaire, couronnée du Lion d’or de la Biennale de Venise en 2011.

La reconnaissance par un musée tel que le Whitney Museum ou l’attribution d’un prix aussi important que le Lion d’Or de Venise est primordial dans la carrière des artistes et peut-être plus encore dans celles des artistes femmes. Ce n’est certainement pas un hasard si l’artiste couronnée par le Lion d’Or de Venise cette année n’est autre que Carolee Schneeman, pionnière de la performance féministe, à une époque où l’équité et la parité entre homme et femme est au centre des débats…

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