Et finalement, ce n’est pas une Assemblée si monochrome que prévue. Malgré la victoire écrasante, pardon, la déferlante, pardon, le raz-de-marée, pardon, le tsunami électoral que tous les analystes, commentateurs, chroniqueurs et autre sondageographes nous vendaient âprement depuis plusieurs jours, la République qui était au bord du gouffre et qui s’est mise En Marche récolte une majorité claire, absolue, confortable mais nettement inférieure aux plus de 400 députés qui étaient pronostiqués.
Youpi, donc.
Sauf qu’évidemment, revient inévitablement sur la table la douloureuse question de l’abstention. Parvenant à 56% lors de ce scrutin, elle place un record net et montre de façon assez claire que la plupart des Français s’étaient largement démobilisés. Bien évidemment, la presse traditionnelle s’est empressée d’analyser ce chiffre et avance la panoplie habituelle de raisons, allant de la plus niaise (il faisait beau) à la plus circonstancielle (les Français étaient lassés de voter) en passant pudiquement sur la plus probable (la foi citoyenne dans cette mascarade s’érode doucement à chaque pantalonnade démocratique), et se laisse à tendre, une fois de plus (une fois de trop) son gros micro mou aux politiciens qui s’empressent de jouer du xyloglotte en rythmes chaloupés, sur l’air maintenant connu du « ♩ il faut écouter le silence des urnes ♪ ».
De façon ni étonnante, ni particulièrement fine, chacun de ces politiciens interrogés sur cette épineuse question en profitera pour se poser la question sous-jacente de la légitimité des élus : eh oui, m’ame Ginette, avec aussi peu d’électeurs par élu, pourront-ils réellement prétendre représenter quelque chose ? Décidément, les piliers de bar n’ont qu’à bien se tenir.
Dans cette myriade de réflexions profondes, on ne pourra s’empêcher de noter celles, encore plus délicieuses, des leaders ou porte-paroles ou têtes de listes des partis extrêmes, France Mélenchonsoumise d’un côté et Front Marine Nationale de l’autre : à chaque fois et dans leur bouche, cette abstention est parée d’étranges vertus.
Ainsi, elle amoindrit de façon claire la portée du message qu’entend porter Emmanuel Macron et ses députés : élus avec une telle abstention, c’est être mal élu et, en tout cas, il sera difficile de prétendre avoir derrière soi un peuple en pleine ferveur. De ce point de vue, Marine et Jean-Luc n’hésitent pas à rappeler qu’ils feront, à chaque fois que possible, appel à la rue pour venir en aide à leurs petites troupes législatives qui s’opposeront avec bravoure à l’hydre macronesque, ♫ tsoin tsoin ♫.
Et dans le même temps, avec cette facilité du paradoxe que les politiciens sont toujours prompts à manier avec dextérité, cette même abstention ne semble pas amoindrir d’une quelconque façon les scores obtenus par les députés franco-insoumis ou les fronto-nationalistes. Le député des extrêmes sait qu’il bénéficie d’une assise populaire solide de laquelle est absente, ou quasiment, tout indigne grumeau d’abstention ; il a, lui, le peuple derrière lui, vibrant d’une seule âme, prêt à (re)prendre la Bastille si jamais le totalitarisme venait à s’installer par le truchement d’un Macron trop puissant.
Mieux encore : l’abstention peut, dans leur bouche, être carrément récupérée sans souci, car, c’est évident, ceux qui se sont abstenus auraient voté pour eux, c’est sûr.
Et tout ceci de justifier sans vergogne d’appeler, avec force trémolos, à la résistance dans la rue et à réclamer des référendums avec bruit. En tout cas, pour Jean-Luc, le combat est engagé, il est d’importance et il se voit déjà nimbé de responsabilités plus grandes encore que son groupe d’élus à l’Assemblée.
Tout cela est bel et bon, mais il y a tout de même un petit souci : c’est complètement faux.
La triste réalité est que si l’abstention a, effectivement, amoindri la prétendue ferveur populaire qui pourrait se trouver derrière le mouvement de Macron, elle l’a d’autant plus fait pour les mouvements extrêmes.
Forcément, pour Le Pen ou Mélenchon, c’est nettement moins glamour à admettre, notamment après leurs scores plutôt élevés des élections présidentielles, mais les faits sont têtus : ceux qui sont allés voter au premier puis au second tour sont très majoritairement ceux de Macron et ce de façon absolument limpide.
Cette évidence semble avoir bien du mal à pénétrer le crâne de certains élus et elle mérite donc d’être redite : si cette abstention record démontre bien quelque chose, c’est qu’au contraire de ce que prétendent nos deux populistes dans leurs péroraisons télévisées, les Français ne veulent pas de ces deux partis comme opposition à Macron.
Et le plus beau, c’est que leur si faible motivation pour les candidats du Front National ou de la France Insoumise doit se comprendre en face d’une mobilisation pour Macron déjà fort peu élevée. Autrement dit, on voit d’autant plus de députés des extrêmes à l’Assemblée que les Français ne se sont guère mobilisés pour les autres, et pas l’inverse : si les Français peu enthousiastes du macronisme les avaient jugés crédibles, ils se seraient déplacés pour voter pour eux et ils seraient plus nombreux, à coup sûr.
En somme, cette abstention record enlève beaucoup plus de légitimité aux extrêmes qu’aux partis traditionnels. Dans ce cadre, ni le Front National, ni la France Insoumise n’apparaissent donc comme des opposants légitimes à Macron et ses députés En Marche.
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