« Ce sont nos choix qui font ce que nous sommes, et nous avons toujours la liberté d'opter pour le bien. » On croirait entendre du Camus : foi dans la vertu de l'homme, implication du lecteur dans ce « nous » universel et humaniste, style clair, concis et percutant qui définit une morale qui tient au cœur. Et pourtant, ce n'est pas Camus, c'est Spider-man, qui conclut dans cette ultime phrase du troisième volet l'apprentissage de ses responsabilités civiles.
Aucun rapport entre Camus et les super-héros, me dira-t-on ? Au contraire. Rien de plus existentialiste que les super-héros dans le cinéma des années 2000.
Spider-man est caractéristique de l'évolution qu'a subi ce genre au cours de la dernière décennie : les nouvelles adaptations de super-héros travaillent l'usage des pouvoirs qu'a reçus ou que s'est donnés un super-héros, alors que les adaptations antérieures (les Supermande Donner, les Batmande Burton), dans la veine des héros du cinéma d'action, considéraient les super-héros comme des gardiens éternels, des types de personnages dont l'essence était clairement définie et qui n'avaient donc pas à évoluer, ce qui avait pour conséquence de naturaliser des gardiens d'un ordre dominant dont les valeurs apparaissaient ainsi immuables car naturelles. Superman n'était guère différent d'un Schwarzeneger ou d'un Stallone dans la conception d'un héros comme nature supérieure aux autres hommes.
Loin de ces surhommes bodybuildés, Peter Parker est un looser. Un looser qui par hasard se voit piqué par une araignée qui va faire de lui Spider-man. L'enjeu moral est clair : que doit faire un citoyen ordinaire lorsqu'il se trouve sous les feux de l'héroïsme ?
Spider-man incarne ainsi une projection d'un spectateur ordinaire à l'écran, et tout son travail sera de trouver le bon usage de ses super pouvoirs, à lui qui n'a jamais été destiné à accomplir un rôle de héros et de chef.
« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » ne cesse de lui répéter son oncle. On est bien éloigné de Superman, à qui son père, Jol-El, ne fait que lui ordonner de mettre les hommes « sur la voie du Bien ». Celui-ci n'est jamais défini, et se voit donc matérialisé à l'écran lorsqu'il est attaqué par les méchants sous la forme de l'ordre actuel des choses. Certes, Spider-man lui non plus ne remet pas en cause, adolescent paumé qu'il est, la définition métaphysique du Bien, mais il a le mérite de relativiser son action, qui n'est plus bonne seulement parce qu'elle émane d'une nature supérieure, et de la juger à l'aune de l'humanité. Spider-man est le premier super-héros à se faire à la fois gardien et juge, et non plus simple assistant dénué de conscience du procureur.
C'est cette évolution vers la notion de responsabilité, c'est-à-dire vers l'incorporation d'un pouvoir super-héroïque dans la condition morale humaine, qui caractérise la grande nouveauté du film de super-héros des années 2000. Mais si les premiers volets respectifs de X-Menet de Spider-man, tous deux réalisés avant le 11-Septembre, croient encore en la vertu de ce gardien-juge, les films suivants, y compris ceux de ces mêmes franchises, basculent chaque fois un peu plus dans la noirceur et la remise en question des vertus supposées du super-héros, jusqu'à l'apocalypse qu'est Watchmen, film dans lequel le rôle même de gardien n'a plus lieu d'être.
Sans pour autant être annihilée, la légitimité du pouvoir de Spider-man est contestée à chaque opus, et Peter Parker est ainsi un peu plus déniaisé de ses croyances dans le rôle messianique qu'il croit être le sien lors de chaque nouvelle confrontation. Si le Bouffon Vert et Octopus jouent des figures de père face auxquelles doit se confronter le jeune héros, si Sandman, père d'une famille pauvre contraint aux braquages afin de trouver l'argent nécessaire aux soins de sa fille gravement malade, représente la complexité du monde social et le nécessaire abandon du manichéisme, si Harry Osborn, haïssant désormais son meilleur ami, incarne la rupture avec le monde normal, c'est Venom, et encore plus le costume noir de Spidey, qui fonctionne comme le miroir moral des propres actes de celui qui se croyait un héros sans taches. À chaque nouvel affrontement, Peter découvre que son pouvoir doit se construire dans une société qu'il faut vivre pour savoir la protéger et la perfectionner, et non recevoir ce dernier comme un don du ciel, qu'il soit une araignée tombant du plafond ou un symbiote venu de l'espace, qui placerait son porteur au-dessus des autres hommes, car ceci, loin d'accroître la sagesse du héros, le rend aveugle aux souffrances de ses frères et sœurs et entraîne leur meurtre : ainsi de l'humiliation que le Parker sombre inflige à Eddy Broke en pleine réunion du journal qui provoque la transformation de la victime en un Venom assoiffé de vengeance et de la grenade qu'il lance au visage de Harry et qui défigure celui-ci.
En clair, l'évolution de la figure positive de Spidey vers la mise en crise des croyances naïves en un Sauveur représente celle de l'humanité vulnérable des années 2000, et tout particulièrement d'une Amérique traumatisée par le 11-Septembre, perdue dans un nouveau monde globalisé au sein duquel les repères séculaires se dissolvent dans un espace et un temps soudainement distendus, et qui cherche à donner des bornes morales à des phénomènes qui outrepassent sa condition.
Finalement, l'aboutissement de cette volonté de responsabiliser des pouvoirs politiques qui n'interrogent pas leurs fondements et des les ramener sur le sol de la démocratie, c'est peut-être tous les mouvements des Indignés qui travaillent au perfectionnement du monde depuis quelques années et qui, comme Peter, sont des citoyens ordinaires qui ont pris la décision courageuse « d'opter pour le bien ».
Spider-man, de Sam Raimi
Maxime