Shame : « On espère avoir dépassé la génération X-Factor »

Publié le 16 juin 2017 par Swann
INTERVIEW - Ils ont la petite vingtaine, n'ont pas encore sorti d'album mais viennent de signer chez Dead Oceans, a.k.a le meilleur label américain indépendant de ces dernières années. On te présente SHAME, la plus grosse révélation de notre Route du Rock hiver 2017 et sans aucun doute notre coup de cœur de l'année. On les rencontre un bel après-midi de février, à Saint-Malo, dans une loge minuscule de la Nouvelle Vague. Ils sont cinq, se serrent sur le canapé et trimbalent avec eux leur réputation : celle d'un groupe d'enfants terribles, renouveau de la scène punk anglaise. Chacun de leur passage est synonyme de rage, de sueur et de débauche d'énergie. Avant de le vérifier sur scène (sans aucune contestation possible), on les retrouve faussement calmes pour une interview sans langue de bois. Fougueux et sages à la fois, on ne résiste pas : c'est un coup de cœur humain qui précède la claque musicale.

Pour nous, Shame était jusque-là le nom d'un film de Steve McQueen...
Shame : (rires) Personne ne nous l'avait encore faite ! Ça commence bien !

Que signifie ce nom pour vous et d'où vient-il ?
Eddie Green : On essayait de trouver un nom, et Shame était le premier qu'on ne détestait pas.
Sean Coyle-Smith : Moi je le détestais au début !
Charlie Steen : Tous nos amis étaient plutôt perplexes, mais ils n'aiment toujours pas vraiment notre musique, alors...
Josh Finerty : Ce nom a fini par grandir en nous, on a fini par l'aimer.
Eddie Green : Au départ, c'était plutôt " On joue dans un groupe qui s'appelle Shame. Mais c'est juste un nom temporaire ". Mais c'est resté.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire du groupe : où ? quand ? comment ?
Josh : On s'est rencontré à l'école. Trois d'entre nous au collège, deux dès la maternelle, vers 3-4 ans.
Sean : Et Josh a été à la Unicorn School ! (rires)
Josh : On jouait beaucoup, c'était cool ! (rires)
Charlie S. : On se connaît vraiment depuis qu'on est enfants, en fait. On a passé notre scolarité ensemble jusqu'à nos 17 ans, et on voulait tous, individuellement, créer un groupe. Le père de Charlie, qui est venu avec le nom du groupe, nous a proposé un studio gratuit à Brixton. On est allé là-bas, on n'avait pas vraiment d'équipement, ni micro ni rien pendant un bon moment, mais on avait des chansons ! (rires)
Eddie : On a passé tout l'été dans cette pièce tous ensemble, à faire les idiots et à écrire des chansons. Comme on n'était vraiment pas très équipé, les progrès ont été longs et laborieux. Mais quand on a eu trois chansons finies, on a décidé de commencer les concerts.

Donc tout ça, c'était à 17 ans. Mais quel âge avez-vous maintenant ?
Charlie S. : 19 ans. Enfin deux ont 20 ans. Mais oui, c'était il y a deux ans.
Sean : Deux longues et difficiles années ! (rires)
Charlie S. : De toute façon, passé 21 ans tu quittes le groupe. On va trouver des remplaçants ! (rires)
Charlie F. : La jeunesse pour toujours !
Eddie : Oui donc un été à faire les cons et voilà le résultat, on a continué !

" Les Français sont plus passionnés en concert "

Et tant mieux pour nous ! Ça nous donne l'occasion de vous voir en France aujourd'hui ! D'ailleurs, vous avez déjà fait quelques gros festivals français (Pitchfork, GénériQ, La Route du Rock...). Que pensez-vous de la France ?
Shame (en chœur) : On adore la France !
Josh : Excellent public !
Charlie S. : Ils prennent bien soin de nous !
Eddie : Et vous avez de bonnes bières.
Charlie S. : Les gens disent souvent que les Français viennent en concert pour découvrir, ils sont intéressés et sympas, ce qui n'est pas forcément le cas à Londres. Là-bas, les gens sont plus... pessimistes.
Sean : Les Londoniens sont un peu trop " pourris gâtés " en terme de bonne musique. Il y a tellement de salles, tellement de bons groupes. Tu peux aller en concert tous les soirs si ça te chante...
Charlie S. : Mais je dirais que les Français sont plus passionnés et impliqués quand ils viennent te voir en concert.

Vous faites passer certains messages dans votre musique, comme celui pour Theresa May dans " Visa Vulture ". Pensez-vous que ce genre de choses puisse être entendu aussi par un public français ?
Josh : Oui, oui, bien sûr, la situation est assez similaire partout. Vous avez aussi vos propres problèmes avec l'extrême-droite et Marine Le Pen. Nous, on a le Brexit. Pas mal de nos messages et de nos chansons sont des réactions à ce genre d'événements. Mais comme cela arrive aussi chez vous... Je pense que c'est une raison qui explique que tout commence aussi bien pour nous en France.
Charlie F. : Tout ce qu'on écrit de politique est évidemment tourné vers la politique britannique, mais les Français peuvent l'apprécier tout autant, considérant la situation actuelle.
Sean : C'est malheureusement en train d'arriver partout...

Croyez-vous qu'il y ait une sorte de revival punk en ce moment en Angleterre, avec des groupes comme le vôtre, comme Slaves...
Shame (interrompent la question) : Non non non, il ne faut pas mettre Slaves là-dedans !
Charlie S. : Ils essaient d'être punk, mais en réalité ils sont très commerciaux, vraiment loin du punk.
Sean : C'est difficile de parler de revival, mais en tout cas, une chose est sûre, Slaves est à écarter.
Charlie S. : Parce que leur musique est vraiment tout sauf intelligente.
Eddie : Non ce n'est pas tant ça, c'est surtout qu'ils sont tellement éloignés de ce que représente le punk... Ils sont plutôt risibles... Ils sont signés sur une major, vendent leurs t-shirts 25 balles, gueulent pendant leurs concerts, balancent de la bière sur scène. Ils ne sont pas du tout anti-système comme on s'attendrait à ce qu'il soit... Ce sont des clowns. (rires)
Charlie S. : Mais il y a vraiment beaucoup de bons groupes à Londres en ce moment.
Charlie F. :Mais je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup qui essaient vraiment de créer un revival.
Sean : Beaucoup essaient juste de jouer la musique qu'ils aiment, tu sais.


Mais pensez-vous que cela ait un rapport avec le climat peut-être politique dont on parlait ? Un besoin de la jeunesse d'entendre plus de voix engagées comme la vôtre ?

Shame (tous) : Peut-être...
Josh : Les jeunes se sentent aussi plus marginalisés, tentent des choses à la guitare...
Charlie F. : Je crois que la décharge de musique indé des 10 dernières années est passée.
Charlie S. : On est juste dans la continuation d'un cycle et tu peux dessiner des parallèles avec ce qu'il se passe politiquement. À l'époque de Joy Division et de The Fall, c'était la merde aussi. Et maintenant, ce qu'il commence à se passer à Londres montre pas mal de similitudes avec ce qu'il se passait avant.
Eddie : La musique à base de guitares avait perdu ses lettres de noblesse dernièrement. Il y a eu d'autres genres qui sont nés, qui avaient plus de visibilité, à juste titre d'ailleurs car ils étaient meilleurs ces dernières années. Nous, nous ne faisons que jouer la musique qui nous plaît, en espérant qu'avec les autres groupes actuels qu'on aime, on arrive à ramener un peu d'intégrité à ces guitares.
Charlie S. : On espère avoir dépassé la génération X-Factor.
Charlie F. : Beaucoup de ces shows sont en train de disparaître, plus personne ne les regarde, Dieu merci, ce n'est plus vraiment drôle.
Sean : Dans beaucoup de festivals où nous sommes passés, il y avait un gars de The Voice qui jouait, c'était tellement mauvais !

" On aurait adoré jouer avec The Cramps "

Quel type de musique aimez-vous ? Qu'est-ce que vous écoutez en ce moment ?
Sean : Tous les types de musique ! Il y a ce groupe appelé Uranium Club, et pas mal de nouveaux groupes punk, assez récents. Très directs, très " dans ta face " !

Vous restez un peu dans le même style en fait.
Josh : J'écoute pas mal de soul, de hip hop, de funk et de reggae, jazz... (rires)
Charlie S. : J'écoute beaucoup New Order en ce moment, Spiritualized...
Charlie F. : Il y a en fait pas mal de choses différentes qui tournent.

Avec quels groupes aimeriez-vous jouer, si vous en aviez l'opportunité ?
Shame : N'importe qui ? Anciens ou actuels ?

Les deux !
Josh : Actuels, je dirais Parquet Courts !
Charlie S. : On a joué avec un groupe appelé The Fool.
Charlie F. : Clairement si tu nous avais demandé ça avant, on t'aurait dit The Fool. Mais maintenant c'est fait.
Josh : Ils sont à enlever de la liste.
Sean : Les Beatles, les Smiths...
Charlie S. : J'aurais adoré jouer avec The Cramps.
Josh : Oui, les Cramps !

Avez-vous des conseils pour les groupes français qui voudraient faire du punk ? On est plutôt mauvais je crois dans ce domaine...
Josh : N'essayez pas de vous mettre dans une boîte ! Jouez tout ce que vous aimez, tout ce que vous sentez !
Eddie : Il ne faut pas commencer un groupe en ce disant " Hey, on va être un groupe de punk ! ", ça ne marche jamais.
Charlie S. : N'essayez pas de plaire à qui que ce soit d'autre qu'à vous-mêmes.
Sean : Créez votre propre son. Et jouez le plus de concerts possibles.

Donc pour vous, l'essentiel se passe sur scène ?
Sean : Oui, on s'est beaucoup développé à travers la scène.
Eddie : On avait en fait déjà un set construit, avant même de vraiment savoir écrire.
Charlie F. : On commençait déjà à faire de chouettes concerts avant même d'avoir des chansons !

Il n'y a d'ailleurs que deux chansons de vous sur Spotify !
Josh : Oui, il y en aura bientôt plus ! Deux sont en préparation.

Et à quand l'album ?
Charlie S. : Cette année. On enregistre dans deux mois (en avril), et on verra à partir de là...
Charlie F. : Oh mon dieu !

Êtes-vous prêt ?
Charlie S. : On verra ! On espère ! (rires)
Eddie : Oui, on est prêt. On espère qu'il sortira pour septembre.
Josh : MOI JE SUIS PRÊT !

" On veut rendre l'album intéressant à écouter. "

Comment recréer l'énergie qui est la vôtre sur scène ? Vous êtes reconnus pour vos prestations sur scène, comment allez-vous faire pour transposer ça sur album ?
Josh : On va en fait essayer de faire complètement différent. On va essayer de coller au style " dans ta face " mais on ne veut pas que les gens se disent " ça sonne exactement comme en concert ". On veut rendre l'album intéressant à écouter.
Charlie S. : Et on va aussi essayer de faire ce qu'on ne peut pas faire sur scène, par exemple ajouter des instruments comme le saxophone et l'orgue.
Josh : Mais ça sera très " dans ta face " quand même !
Sean : C'est une garantie ! Tu peux faire une citation là-dessus ! (rires)
Eddie : Une bonne partie des chansons vont de toute façon se construire ensemble en studio, parce que tu as plus d'opportunités dans cet environnement, d'enregistrer et de changer des choses. Je ne sais même pas moi-même à quoi m'attendre en fait, mais je suis impatient d'essayer ! En fait, on va peut-être sortir le meilleur album dance de l'année ! (rires)
Charlie F. : Oui, peut-être qu'on va prendre un virage complet en studio... Quelques chansons funk peut-être ?
Charlie S. : On va peut-être chanter en français !
Josh : On ne sait jamais ! (rires)

Une dernière petite question : quelle était votre dernière honte musicale ? (shame = honte, ndlr)
Charlie S. : Je me suis chié sur scène la semaine dernière mais...
Sean : (rires) Ce n'est pas la question, mec ! Tellement pas la question ! On t'a dit " musicale " !
Josh : My Chemical Romance!
Eddie : Il y a cette chanson qu'on a chantée la dernière fois. Qu'est-ce que c'était ?
Sean : " Take On Me " ?
Eddie : Non... Sum 41 ?
Josh : En vrai, on n'a honte de rien.
Charlie F. : " 99 luftballons " ! (le groupe chante en chœur)

Vous la jouerez ce soir ?
Charlie S. : On viendra sur scène sur cette chanson !
Eddie : On pourrait faire ça !
Charlie S. : On devrait carrément faire ça.
Eddie : Non, Goldfinger !
Sean : Oh oui, Goldfinger!
Josh : La honte musicale secrète c'est All Star - Smash Mouth (fredonne " somebody wants... "). Non ?
Sean : C'est le thème de Shrek !
(Ils chantent en chœur)

► SHAME en concert : à Europavox le 1er juillet, aux Eurockéennes de Belfort le 4 juillet, aux Vieilles Charrues à Carhaix le 13 juillet, à la Plage du Rock de Saint-Tropez le 20 juilet, à Cabourg Mon Amour le 28 juillet.

Un grand merci à La Route du Rock d'avoir rendu cette interview possible et aux 5 musiciens de Shame pour cet excellent moment.

Propos recueillis par Morgane Milesi et Sabine Bouchoul
Photos : Morgane Milesi

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