Les diverses formes adoptées s’adaptent à ce que l’écriture veut faire passer : sensation du poème, réflexion et observation du journal, étrangeté de la cartographique carte-poème, instantanéité de la photographie. Poète, elle se met en disposition d’« hyperobservation », en disponibilité au et du monde (ce qui peut être l’avantage d’une période de résidence). Si la bête, en tant que loup ou en tant qu’animal monstrueux ayant défrayé la chronique dans les Cévennes, est hyperprésente, tapie dans chaque mot, c’est pour mieux filer la métaphore, de la piste, du mystère et de la peur que celui-ci recèle et qui peut bien être ancestrale comme la peur du loup et pourtant nous attire irrésistiblement vers de l’inconnu ; « à force de creuser mes sillons, de multiplier les explorations, de prendre contact avec diverses situations et paysages, je me découvre incluse dans des repères extérieurs et intérieurs très profonds ».
À la queue leu leu la poète file les indices qu’elle détecte, accompagnée d’un animal domestique, son chien, son lien avec le réel immédiat. Si elle se laisse envoûter « par les perles rouges des fraises sauvages », qu’elle dévore, n’est-ce pas une manière d’absorber le monde, qui l’envoûte ? : « L’envoûtement est réel, il m’est impossible de lutter contre la force de gravité qui me fait jeter un œil dessus, j’avance, j’avance, je dis non-non, mais je finis toujours par me précipiter jusqu’à la limite du lumbago, quand je porte le gros sac à dos. »
Le livre, disions-nous, suit le fil des quatre saisons, mais il en est une cinquième, qui prolonge le livre, l’ouvre grâce au distique final, faite de poèmes uniquement, où « tout est tremblement à l’intérieur », parce que, voire, tout est émotion dans les pages qui précèdent, émotion du monde qui fait remuer l’intérieur qui est « un ciel trop vaste », c’est-à-dire une cartographie mentale sans limites, et qui force à poursuivre, biengré soi, à marcher sur ce ciel trop vaste, alors magnétique, du monde.
Jean-Pascal Dubost
Sandrine Cnudde, Patience des fauves, éd. érès, 2017, 160 pages, 20€