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Ernestina Herrera rayonnante, en tenue de cocktail, flanquée de ses deux enfants
Depuis, elle avait fait de ce journal argentin criblé de dettes un puissant groupe médiatique, qui comprend plusieurs quotidiens, de nombreux magazines, des chaînes de télévision et des fournisseurs Internet et téléphonie mobile. En Amérique du Sud, elle fut la première femme à prendre ainsi la direction d'un organe de presse. Elle s'est toujours présentée comme une championne de la liberté de la presse et elle a été reconnue et parfois décorée pour ce combat, notamment lorsque François Mitterrand, bien connu pour ses sympathies politiques envers les réfugiés politiques sud-américains, lui a remis la Légion d'Honneur.
En 1984, Ernestina Herrera reçoit la Légion d'Honneur des mains de François Mitterrand
On est tout juste quelques mois après le retour à la démocratie en Argentine
Depuis 1990 toutefois, sous le mandat de Carlos Menem (1), elle faisait l'objet de nombreuses attaques personnelles, tout d'abord sous l'accusation d'avoir créé un groupe hégémonique qui ne laissait au reste de la presse aucune place pour prospérer (ce qui n'était pas faux mais il est vraisemblable que cela ait plus à voir avec la structure libérale du marché qu'avec sa volonté et sa stratégie personnelle) et ensuite à travers sa vie privée, où se confondent les enjeux affectifs et patrimoniaux.
L'adoption de ses enfants, pendant la Dictature militaire (1976-1953), est en effet entachée de graves irrégularités, aujourd'hui prescrites, mais sur lesquelles la justice argentine n'a jamais été très pointilleuse. Abuelas de Plaza de Mayo a longtemps pensé que Marcela et Felipe pouvaient être deux des petits-enfants qu'elles recherchent mais le frère et la sœur ont accepté, il y a quelques années, de faire le test ADN qui s'est révélé négatif pour l'un et l'autre. Ils héritent aujourd'hui la totalité des parts de leur mère et vont sans doute prendre les commandes du groupe, qui a si longtemps excité la haine des kirchneristes et reste particulièrement suspect aux yeux des militants de cette gauche, aujourd'hui dans l'opposition.
En Espagne, le roi Juan Carlos lui-même accorde un baise-main à Ernestina Herrera
On ne s'étonnera donc pas du ton peu aimable de la nécrologie dressée ce matin par Página/12 (2) tandis que le reste de la presse salue la grande dame du journalisme, qui a su élevé son titre phare au meilleur tirage mondial de la presse de langue espagnole.
Pour en savoir plus : lire la nécrologie de Ernestina Herrera de Noble dans Clarín, qui consacre à la disparue de nombreux articles et analyses lire l'article de La Prensa lire l'article de La Nación lire l'article de Página/12
(1) alors qu'elle avait soutenu l'arrivée au pouvoir de Raúl Alfonsín, le président radical qui avait relevé la démocratie et le régime constitutionnel en décembre 1983. (2) Entre temps, il s'est créé un autre groupe médiatique, idéologiquement opposé, le Grupo Octubre, dont Página/12 est le quotidien.