GDC Paris. Mardi dernier, 17h20. La salle est bondée. Les nombreuses personnes qui n'ont pas pu rentrer doivent se contenter de l’autre amphi qui diffuse la conférence en vidéo. Je me retrouve entre Eric Chahi et Paul Cuisset. Marrant de retrouver les deux compères côte à côte. On est tous venus pour écouter Dieu heu... je veux dire Rob Pardo, notre maitre à tous. Pour ceux qui l’ignorent, Rob a été classé par Time Magazine parmi les 100 personnes les plus influentes de la planète. (comme Miyamoto il me semble). Pas surprenant quand on sait que ce monsieur, à l’origine de World of Warcraft, a réussi à créer une communauté de plus de 10 millions de personnes. L’équivalent d’un pays comme la Belgique ou le Portugal. On attend l’entrée de la vedette. Deux superbes fauteuils rouges ont été soigneusement disposés sur la scène. Un pour l’interviewer, l’autre pour la star. A gauche, une bouteille de rouge et un joli verre de vin sont posés sur la table. A droite un simple verre d’eau. De quel côté Rob va-t-il s’assoir ? Suspens…
Cette séance
de questions-réponses avec Rob Pardo clôturait la Game Developers Conference qui, pour la première fois, avait lieu à Paris, lundi et mardi. Ces deux journées nous ont permis d’aborder plein de sujets techniques, managériaux
ou artistiques. Les deux thèmes mis en avant dans cette GDC étaient les
contenus générés par les joueurs et l’émergence du casual gaming.
Souvent d’ailleurs ces deux thèmes se sont superposés, montrant qu’ils
sont les signes annonciateurs d’une véritable vague de fond. Cette
vague de fond c’est Ben Cousins qui a su, mieux que les autres, la
mettre en évidence. Après la présentation de Battlefield Heroes
(concept sympa et prometteur), Ben a fait une brillante
démonstration sur l’avenir du jeu vidéo. Il nous avait concocté un
slide avec deux colonnes. Colonne de gauche : les caractéristiques des
jeux classiques vendus au détail. Colonne de droite : les
caractéristiques des jeux en ligne.
En simplifiant (j’aurais dû prendre des notes), à gauche se trouvaient
les critères suivants : courbe d’apprentissage longue, immersion,
expérience complète, concentration, spectaculaire, payant, public de passionnés… A droite, se trouvaient des critères opposés : accessibilité, participation,
expérience fractionnée, temps de jeu courts, simple, gratuit,
grand public.
Il efface alors les deux entêtes et les remplace par les mots Cinéma
d’un côté, Télévision de l’autre. Murmures dans la salle. Incroyable,
ça colle parfaitement ! Puis il nous fait un petit rappel historique
sur les débuts de la télé en 1947 qui a supplanté en quelques années l'audience du cinéma. « Voilà dans les jeux vidéo nous sommes aujourd’hui en 1947
» En simplifiant encore, ça voulait dire "soit vous continuez à faire du
cinéma (en gros vous êtes déjà ringards) soit vous êtes pionniers et
vous vous lancez dans la télévision" ! Wouah ! Je veux faire de la télé
moi ! C’est évidemment ce qu’on s’est tous dit en sortant. Les places
vont être chères.
Mais passons : la GDC était l’occasion d’apprendre plein d’autres
choses. Comment faire le level design d’un FPS ouvert comme Crysis ?
Comment rendre un personnage fort et attachant (l'une des meilleures conférences à laquelle j'ai assisté) ? Quel outil
créer pour gérer les dialogues dans un jeu comme Mass effect ? Etc… On n’a pas eu
toujours les réponses mais les conférenciers étaient généralement d’un
bon calibre.
Ce qui m’a surpris en passant d’une conférence à une autre c’est que
finalement c’est autant le bordel chez les autres que chez soi. Ça
rassure ! Sten Huebler, lead designer de Crysis : « C’était terrible. On ne savait
plus où on en était. On tournait en rond. Personne n’avait une vision
du jeu cohérente. On a dû réorganiser complètement la chaine de
production ». Un peu plus tard Kris Kline, lead developer de Bioshock : « Ce jeu
revient de loin. On ne savait plus dans quel sens faire travailler les
artistes. Nous étions complètement bloqués… L’équipe était démotivée.
Heureusement l’E3 arrivait et cela nous a obligé à simplifier ». Après
cela, on comprend pourquoi l’équipe de Little Big Planet insiste pour
revenir à un mode de production modeste (30 personnes quand même !)…
On eut l’impression d’assister à la confrontation de deux écoles : d'un côté, les adeptes de la grosse production, toujours plus immersive, plus spectaculaire, plus imposante. De l'autre, les franc-tireurs qui préconisent des productions plus modestes, des jeux de courte durée, moins immersifs mais connectés et ouverts.
Mardi, 17h30. Ça y est la star monte sur scène. Il s’assoit en face du verre de vin. Gagné ! On pouvait s’en douter. Il n’a bu qu’un seul verre mais le luxe c’est ça : savoir qu’on peut se la boire tout seul devant 300 personnes ! Les questions s’enchainent. On apprend que Rob a commencé comme testeur. Moi qui n’arrête pas de dire aux gamins qui rêvent de devenir game designers qu’il ne suffit pas d’être un bon joueur pour y arriver, je vais avoir l’air malin maintenant. On apprend plein d’autres choses sur sa façon d’envisager la création. Il insiste beaucoup sur le travail et l’adhésion de toute l’équipe au game design, le soin attaché au moindre détail. On est étonné d’entendre que la mise en production d’un nouveau jeu ne se décide que lorsque le jeu précédent est pratiquement terminé. Pas de vision stratégique à long terme. Simplement la recherche de la perfection, un jeu après l’autre. Ça parait si simple dit comme ça ! Un truc surprend à travers ses réponses : il est à la tête d’énormes productions mobilisant des centaines de personnes et en même temps on a l’impression qu’il réussit à conserver une espèce de savoir faire artisanal. En quelque sorte, la réunion des deux écoles décrites plus haut,
Je repense à Ben Cousins et à son histoire de télé. Je me dis que Rob peut se la jouer modeste. Sa chaine de télé, lui, il s’en fout, il l’a déjà ! Moi je me dis finalement que je vais continuer à bricoler dans mon coin mes productions modestes, courtes mais immersives. La chaine de télé on verra plus tard. Après tout, les émissions de télé valables se comptent sur les doigts de la main alors que des chefs d'œuvre, l'industrie du cinéma a quand même réussi à en générer quelques uns depuis 1947...Et tant pis pour la bouteille de Bordeaux…
Illustration : Battlefield Heroes, EA.