Ce n'était qu'une illusion, peut-être - décidément, je ne cessais de me heurter aux petits peut-être qui peuplaient le grand peut-être, comme Rabelais ou Stendhal appelaient l'après-mort; j'étais peut-être le jouet d'une hallucination protectrice, mais les hommes que je voyais s'avancer vers moi, de l'autre côté de la haute grille de fer forgé, n'avaient rien de sinistre.
Cet extrait est tiré du deuxième volume, Le grand peut-être, de la trilogie du Voyage de tous les vertiges, et en explique le titre: le narrateur de François Hüssy raconte à une deuxième personne ce qui lui semble être l'au-delà, qui ressemble à bien des égards à l'au-deçà. Il vient peut-être de quitter ce dernier, mais rien n'est moins sûr, parce qu'il ne se souvient même pas de sa mort et que c'est vertigineux:
Dans l'au-deçà, même si elle m'obsédait, j'ai vécu heureusement sans rien savoir de ma mort future; ici, je survis malheureusement sans rien savoir de ma mort passée. En ignorant même à quel point elle est passée. Autrement dit, si j'ai fini d'y passer!
A la fin du premier volume, initialement intitulé Dans un reflet rouge sur l'eau noire, il se trouvait en compagnie de Léo et de sa chienne Loulou à l'intérieur d'une petite voiture grenat. Le vieil homme l'enjoignait de les quitter au moment de s'engager dans le monde souterrain situé au-dessous du monstrueux palais qui dominait la grande avenue, comme une montagne. Mais il n'avait pas voulu sauter du véhicule:
Dans n'importe quel monde on a besoin d'amis.
Au début du deuxième volume, le monde que les passagers du scarabée grenat découvrent est-il l'enfer? Ou n'est-ce que du cinéma? Quoi qu'il en soit, ils sont embarqués dans une aventure troublante où il est bien difficile de démêler le vrai du faux et où ils se posent de grandes questions existentielles: Y-a-t-il une vie après la mort? Est-ce Dieu ou le hasard qui régit l'un et l'autre monde? Si celui-ci existe et n'est pas néant...
Dans ce monde-là tout paraît élastique: les êtres et les choses, l'espace et le temps. Le narrateur y mène une vie de mort débutant, à double nature: à égalité réalité partagée et rêve intime. Le rouge y est la couleur dominante, mais c'est un rouge qu'il n'a jamais vu dans le monde des vivants: le plus beau des rouges rencontrés, depuis le halo rouge d'un bateau de feu perçant le ciel noir d'une nuit de chagrin.
Dans ce monde, comme dans l'autre, il demeure incertain. Il est comme un wagonnet sur des montagnes russes intérieures: Je continuais de glisser sans trêve du désespoir à l'espérance et de l'espérance au désespoir, du doute à la foi et de la foi au doute...S'il doute, il lui semble tout de même que l'existence de Dieu peut être la garantie que l'amour est la loi suprême de l'univers, auquel elle donne un sens...
Dans ce volume l'aventure continue donc, mélange de réalisme et de surréalisme. La frontière entre les deux mondes supposés, que sont l'au-deçà et l'au-delà, semble ténue. Si bien que le lecteur peut se demander, à l'instar du narrateur, s'il existe une solution de continuité entre les deux. En tout cas, en partageant les tribulations de ce dernier, il pourra s'évader du monde réel pour un monde rêvé, tout en philosophant...
Francis Richard
Le grand peut-être, François Hüssy, 160 pages, L'Âge d'Homme
Volume précédent (rebaptisé: La porte pourpre des étoiles)