Bonjour, je me présente, Jean-José, 1,85m, très sportif et super bien monté… en diffusant cette annonce sur un site de rencontres comme point de départ d’un sketch, Cyril Hanouna l’animateur star de C8 a généré une crise qui aura duré plus de 10 jours en impactant sa chaîne et son actionnaire le groupe Canal +.
Le 18 mai, plusieurs homosexuels ont appelé l’auteur de cette annonce et se sont exprimés librement sans savoir que leur appel était diffusé en direct dans le cadre de l’émission Radio Baba de Cyril Hanouna. L’animateur ayant déguisé sa voix en prenant un ton efféminé, ils se sont faits piéger.
Ce sketch a suscité immédiatement une forte polémique sur la toile. La communauté LGBT a dénoncé son caractère homophobe. Des associations LGBT se sont mobilisées, l’une d’elle Le Refuge a révélé qu’un des appelants aurait été jeté à la rue par ses parents qui venaient d’apprendre son homosexualité.
Le CSA recevait un grand nombre de plaintes, plus de 20 000 et décidait d’engager une procédure de sanction de l’émission. Plusieurs annonceurs décidaient de stopper la publicité ou le sponsoring ne voulant pas être associés à une émission « contraire à leurs valeurs ». Plus de 50 annonceurs ont abandonné, momentanément, au moins TPMP. La régie de Canal + a été obligée d’annoncer la suspension temporaire des écrans publicitaires associés à l’émission tandis-que la Secrétaire d’Etat à l’Egalité Femmes-Hommes convoquait Cyril Hanouna. TPMP représentant la « poule aux œufs d’or » de C8 ; la chaîne traverse une crise grave pas seulement en terme d’image mais aussi au plan financier. Il serait question selon le Figaro d’un manque à gagner publicitaire de près d’un million d’euros.
Peu de temps après la polémique, une des chroniqueuses historiques de l’émission, Enora Malagré annonçait qu’elle quittait TPMP et Cyril Hanouna reconnaissait que des changements éditoriaux s’imposaient.
Cette affaire illustre la mécanique par laquelle un bad buzz dégénère en une crise grave. Ce n’est pas une erreur mais une multiplicité de faux pas qui conduit à la crise.
1 Sous-estimer le tabou LGBT
La discrimination envers les LGBT est à l’origine de plus en plus de bad buzz et plus seulement Outre-Atlantique. En France, la « manifestation pour tous » a renforcé les inquiétudes de la communauté et attisé le débat sur l’identité sexuelle.
La révélation en mai dernier de persécutions ciblant les homosexuels en Tchétchénie a renforcé le sentiment de fragilité de la communauté mais aussi attiré l’attention du grand public sur les souffrances des LGBT.
Quand pour se défendre, Cyril Hanouna fait référence à Pédale douce ou La Cage aux Folles deux films datant respectivement de 1996 et de 1978, visiblement il n’a pas pris la mesure de l’évolution des sensibilités, sur le sujet LGBT.
2 Négliger les dégâts collatéraux du sketch
Se moquer d’une communauté fragilisée est déjà risquée, mais mettre en danger certaines personnes est condamnable. En révélant la détresse d’un des jeunes piégés par TPMP, l’association le Refuge ne pouvait que mobiliser un large public et pas seulement la communauté LGBT. Si Cyril Hanouna avait fait appel à des comédiens pour ce sketch, il aurait été accusé de véhiculer des stéréotypes homophobes mais n’aurait pas autant choqué l’opinion. De même s’il avait au moins modifié la voix des appelants, il aurait pu échapper à l’accusation la plus grave ; la mise en danger d’autrui.
3 Confondre buzz et bad buzz
Radio Baba a fait couler beaucoup d’encre comme l’ensemble de nos primes…c’est ce qu’indiquait à l’antenne Cyril Hanouna le 19 mai, au lendemain de l’émission polémique. Visiblement l’animateur a considéré que son sketch avait « fait le buzz », comme c’est souvent le cas. Il est vrai que TPMP le monstre médiatique a grossi avec le buzz et se nourrit des polémiques qu’il crée et auxquelles il répond pour le plus grand plaisir de ses fans. Pourtant un buzz devient « bad » dès lors que la vague d’indignation émane de stakeholders stratégiques. En l’occurrence, en transgressant le tabou LGBT et en provoquant (selon l’association le Refuge ) une situation de détresse chez un jeune homosexuel, ce sketch a choqué non seulement les médias, et le CSA, bêtes noires de TPMP mais aussi des annonceurs et des téléspectateurs. Le nombre de plaintes suscitées par l’émission en atteste.
Face à la vague de critiques, Cyril Hanouna a appliqué le traitement habituel pour gérer un buzz. Il est revenu sur ce sujet à l’antenne le 19 mai, a fait réagir ses chroniqueurs avant de donner la parole à 2 associations LGBT. En permettant à ses détracteurs de s’exprimer dans son émission et en s’appuyant sur ses chroniqueurs « alliés », l’animateur de C8 parvient en général à apaiser le buzz. Surtout lorsque, bon prince, il fait un geste à l’égard de ceux qu’il a blessés : soutien d’une opération, cadeau… Avantage de ce ce protocole, un même sujet alimente deux émissions au moins, c’est rentable, tout en contribuant à la promotion de TPMP, avec juste ce qu’il faut de transgression pour divertir un public de jeunes. Dans le cas présent, le protocole n’était pas adapté, étant donné que TPMP était confronté cette fois à un bad buzz. Il aurait dû opter pour un traitement bien plus radical.
4 Croire à son immunité
Cyril Hanouna a probablement cru que ses chéris, ses fans qui le suivent depuis plus de 7 ans en dépit des polémiques, le défendraient massivement. Cette fois pourtant il semblerait que l’émission ait perturbé y compris une partie des fidèles de TPMP. En témoigne, la page Twitter de l’émission qui a été polluée par des critiques de fans déçus par leur animateur, du type : Moi qui était fidèle depuis 7 ans à l’émission, je n’accroche plus autant, ca sent la fin … D’une manière générale les entreprises ont tendance à considérer les clients qui les suivent depuis longtemps, comme des fans inconditionnels. C’est une illusion, quand une marque dépasse la ligne jaune, elle est sanctionnée. Le fan déçu par sa marque peut se montrer aussi violent à son égard, qu’un amoureux éconduit par rapport à son ex dulcinée... Contrairement à Nutella qui a pu compter en 2012 sur ses fans pour la défendre et ainsi repousser un projet de taxe, Cyril Hanouna n’a pas réussi à mobiliser ses chéris, en tout cas pas suffisamment pour pouvoir sortir la tête haute de cette polémique. Même si après une période de « bouderie », les fans finiront par pardonner, il reste que TPMP n’a plus le droit de décevoir ses chéris.
5 Minimiser l’effet récidive
C’est loin d’être la première fois que TPMP choque une partie de l’opinion et de ses relais les médias, voire le CSA. Cyril Hanouna fait partie des élèves qui perturbent le PAF et qui sont régulièrement rappelés à l’ordre. Tant que son public le suivait, l’animateur producteur prenait ces coups de semonce à la légère, renforçant la colère et la frustration chez ses détracteurs, impuissants. Mais la liste des ennemis de l’émission ne cessait de s’allonger, avec des médias, le CSA, à l’affût du moindre faux pas. La répétition de buzz fragilise. Il crée le terreau favorable à une crise grave. Ce n’est pas un hasard si le CSA a pris une sanction contre TPMP hier bien plus lourde (3 semaines sans publicité) que ce qui était préconisé par le rapporteur indépendant. Même si sa décision ne concernait pas ce sketch mais deux séquences controversées plus anciennes, elle est sans nul doute, en rapport avec le degré d’exaspération du CSA. L’effet récidive peut coûter très cher.
6 Sous-estimer le « Système »
Cyril Hanouna a l’habitude de communiquer directement avec ses chéris dans ses émissions, sur Twitter ou Facebook, en court-circuitant les médias traditionnels. Il se positionne comme l’animateur anti-système surfant sur la vague de rejet des médias, des autorités publiques, des politiques….à l’instar d’un Emmanuel Macron, Jean Luc Mélenchon ou d’une Marine Le Pen. Comme eux, il se victimise volontiers et n’hésite pas à crier au « complot médiatique » quand on le critique.
Mais le système s’est rappelé à lui, à la suite d’un dérapage de trop. Le CSA n’a pas manqué de communiquer régulièrement aux journalistes le nombre de plaintes reçues suite au sketch homophobe, afin de témoigner du choc créé par l’émission dans l’opinion. Les journalistes quant à eux ont couvert chaque rebondissement du bad buzz, largement et sans épargner l’animateur. A contre cœur, face à la polémique, le trublion du PAF a dû faire appel à deux grands médias traditionnels, Libération et le JDD pour présenter ses excuses.
7 Négliger les annonceurs
Le succès d’audience est une condition nécessaire mais pas suffisante pour une chaîne privée comme C8. En se préoccupant uniquement de ses chéris, Cyril Hanouna a cru attirer les annonceurs comme on piège des guêpes avec un pot de confiture. Mais la société évolue, les exigences en matière de moralisation se renforcent, en politique mais aussi dans la sphère économique, people… Un signe en atteste, le nombre de départs de dirigeants suite à un bad buzz d’ordre éthique a augmenté de 36 % en 2016 (1). Sous la pression de l’opinion, les annonceurs sont tenus désormais de veiller à l’environnement de leur communication. Youtube le sait, le boycott publicitaire lui aurait coûté près de 800 millions de dollars(2). Les annonceurs ne voulaient plus que leur publicité soit associée à des contenus dégradants ou extrémistes. TPMP aurait dû prendre en compte cette préoccupation d’ordre éthique des annonceurs.
Ceci étant, il est possible qu’après une période de « bouderie », et une communication de repentance de Cyril Hanouna qui annonce des changements éditoriaux importants, les annonceurs pardonnent ; il est difficile de résister durablement aux sirènes de l’audience en particulier pour les marques populaires.
8 Ignorer la concurrence
Une marque en situation de quasi-monopole est clairement moins exposée à une crise. En cas de faux pas, elle sait que ses clients n’auront guère d’alternative, le risque de perte du chiffre d’affaire est donc faible, en tout cas à court terme. Fort de son succès d’audience, il est probable que TPMP considérait qu’il pouvait résister à de nombreuses polémiques. C’était oublier que Yann Barthès avait débarqué sur TMC avec son émission Quotidien et commençait à chasser sur ses terres. Les annonceurs de TPMP peuvent s’autoriser plus facilement des infidélités.
9 Faire un mea culpa tardif
Dans un premier temps, au lendemain de la diffusion du sketch controversé, l’animateur s’est expliqué plus qu’excusé. Il a rapproché sa démarche avec celle d’humoristes ou encore de réalisateurs de films culte (Pédale douce…) et s’est positionné en défenseur de la communauté LGBT et en victime, il a été blessé par les accusations d’homophobie. Compte tenu de l’importance de la vague de colère, sa réaction est apparue trop légère voire déplacée. Jouer les victimes alors que la communauté LGBT a été profondément choquée n’était pas approprié. Cyril Hanouna aurait dû d’entrée de jeu, dès le mardi, plaider coupable à l’antenne, en reconnaissant que son sketch était de très mauvais gout et en publiant un communiqué d’excuse au moins sur Twitter et Facebook. Il aurait eu intérêt à montrer une volonté de « réparer » le mal commis, en prenant des engagements forts vis à vis des associations LGBT. Il aurait dû aider les homosexuels qu’il avait piégés pour leur offrir son aide… bien entendu il aurait affirmé son refus de l’homophobie et valorisé les actions engagées dans le passé, pour soutenir les associations LGBT. Enfin pour rassurer les annonceurs, il aurait dû plus rapidement s’engager à mieux contrôler le contenu des émissions, afin de réduire le risque de nouveau dérapage. Il a attendu 5 jours, pour présenter ses excuses et reconnaitre certains torts, dans Libération. Plus le mea culpa est tardif et plus la polémique est difficile à apaiser, l’animateur a été contraint de s’excuser à nouveau 4 jours plus tard, dans le JDD.
10 Contre-attaquer
Cyril Hanouna réagit en animal politique. Accusé, il se défend en contre- attaquant et en se positionnant en victime. Dès le lendemain de l’émission, il accuse le CSA de se faire de la publicité sur le dos de TPMP pour avoir incité les téléspectateurs à porter plainte et les médias à « couvrir » cette polémique. Quand il s’excuse dans Libération, il s’en prend aux médias, à la société qui est de plus en plus homophobe. Il laisse entendre que la communauté LGBT est devenue hyper sensible et c’est pourquoi elle rejette désormais toute forme d’humour. Enfin dans son mea culpa au JDD, Cyril Hanouna exprime ses doutes à propos du jeune homosexuel mis à la porte par ses parents. S’agirait-il d’une fake news inventée par le Refuge pour mobiliser l’opinion ? Si c’est le cas, il a raison de contre-attaquer médiatiquement, sinon, son argumentaire risque d’avoir un effet boomrang.
Difficile de faire un vrai mea culpa dans les règles de l’art, en résistant à la tentation de contre-attaquer ou d’énumérer les circonstances atténuantes. Et pourtant en matière de bad buzz, plaider coupable apparaît comme la tactique la plus efficace, elle permet d’apaiser la colère rapidement dans 74 % des cas (contre 42% si pas de mea culpa). Cyril Hanouna a intérêt à maîtriser sans tarder la « rhétorique » du mea culpa, il n’a plus le droit à l’erreur.
(1) étude PWC 2016 (2) Les Echos, 28/03/2017