Catherine Safonoff n'a pas publié beaucoup de livres, une dizaine. Il y a à cela au moins deux raisons, semble-t-il: elle écrit beaucoup, mais elle réécrit, infiniment; quand elle écrit, il lui faut s'isoler, c'est-à-dire être voleuse de temps aux autres.
Dans le livre qu'elle vient de lui consacrer, Catherine Safonoff, réinventer l'île, Anne Pitteloud raconte, pour finir, qu'elle est descendue dans son oeuvre comme un mineur qui arpente les tunnels d'une mine de trésors d'écriture:
J'y ai creusé des galeries en quête de pépites; j'ai découvert des filons, je les ai suivis, curieuse de savoir où ils m'emmenaient, ce que peu à peu ils éclairaient jusqu'à finalement mettre au jour.
Et ce que suivre ces filons a finalement mis au jour, c'est surtout une continuité de l'oeuvre, sous une apparente discontinuité. L'image d'un archipel rend sans doute le mieux ce que la plupart de ses livres, romans et nouvelles, constitue:
Loin d'être clos sur eux-mêmes, ils puisent à un fonds autobiographique identique dont des éléments sont repris de l'un à l'autre, la réalité biographique qui infuse les textes étant accentuée par ce faisceau d'échos entre eux.
L'analyse que fait Anne Pitteloud est très fine et fidèle à Catherine Safonoff, avec laquelle elle a d'ailleurs échangé correspondance et qu'elle a rencontrée. Après une première partie de critique approfondie, la deuxième restitue ce qu'elle lui a dit.
Deux extraits donneront une idée de ce travail d'exploration souterraine qu'a accompli Anne Pitteloud et donneront envie, j'espère, à ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre de Catherine Safonoff d'y plonger à leur tour, et aux autres d'y faire retour...
Le fond: L'invention est appelée à la rescousse pour pallier la difficulté de dire, elle se greffe sur le réel pour les besoins du récit: la justesse de la scène, sa logique littéraire et métaphorique, priment sur la stricte véracité des faits.
La forme, fragmentaire et elliptique: Trouée, ourlée de silence, l'écriture de Catherine Safonoff est ouverte à la relation, tournée vers le lecteur qui aura à en prolonger en lui l'écho, à entendre au-delà de ce qui est dit.
De s'aider de la fiction pour dire la réalité, de dire davantage que ce qui est exprimé, c'est-à-dire de remplir des trous et d'en creuser d'autres, forme, dans ces livres, un alliage rare et précieux, entre une très grande intimité et une très grande pudeur.
Il faut donc lire ce livre éclairant sur l'oeuvre originale de Catherine Safonoff, pour qui l'écriture prend sa source dans l'île: c'est l'île en elle qui écrit ses livres, elle encore qui ancre les récits dans le mythe, puisqu'il est "impossible de vivre sans magie".
Francis Richard
Catherine Safonoff, réinventer l'île, Anne Pitteloud, 240 pages Zoé
Les deux derniers livres de Catherine Safonoff, parus chez le même éditeur:
La distance de fuite (2017)
Le mineur et le canari (2012)
L'association littéraire Tulalu!? reçoit Catherine Safonoff le 12 juin 2017, à 20h, au Lausanne-Moudon, rue du Tunnel 20, à Lausanne.