J'ai 18 ans. Suzie, Tiff, Morty et Pasquale aussi. Nous sommes tous au CEGEP. Nous étions tous de la même cohorte de l'école secondaire aussi (Tiff à une autre école, mais nous connaissais du primaire). C'est un peu pour cela que Suzie nous as choisis. Parce qu'elle nous connaissait bien et que monter une pièce de théâtre avec des gens que l'on connait bien, c'est nettement plus facile que tout.
Suzie avait fait la même chose au secondaire et avait monté et dirigé des pièces avec tous ces gens. Sauf Tiffany, qui était socialement séquestrée dans une école de filles ailleurs. Au CEGEP, Tiff et Suze s'étaient unies pour le projet. Monter Jean-Paul Sartre.
Suze a souvent (exclusivement je crois même) été la metteure en scène de nos pièces au secondaire. Cette fois, elle voulait jouer. Suze et Tiff avaient recruté leur prof de français Miss Clancy. 37 ans. Ce serait elle qui ferait la mise en scène de la pièce, Suze incarnerait Inès et Tiff, Estelle. Elles avaient recruté mon ami Morty B., grand amateur fini de Pink Floyd, pour jouer le ténébreux et enigmatique garçon d'étage. Pasquale s'occuperait du décor et de l'affiche. J'allais être le dernier amené à bord. Pour incarner le rôle du troublé Garcin.
Notre pièce allait connaître un franc succès en février 1991. Mais là où les épices tombent dans le recette, nous sommes en automne 1990. Et on s'habille encore parfois légèrement. Pavlovièment, les boyz, Morty et moi, déconnons plus souvent ensemble dans les répétitions. Même si mes scènes sont toutes avec Tiff & Suze et que Morty est rare dans l'ensemble final. Tiff & Suze, avec Miss Clancy, sont naturellement plus complices. Pasquale se joint à elles parfois. Nous sommes encore jeunes et se glisser des mots à l'oreille fait encore parti de réflexe juvéniles qui nous habitent. Même Miss Clancy fait 20 ans plus jeune dans ses attitudes.
We were boooooorn in a cross-fire hurricane.
What to do yeah, I really don't know, I really don't know what to do...
Miss Clancy prend alors la place de Tiff et dans la répétition que nous ferons et me fera faire "une agression guidée de ses mains". Elle prendra mes mains et les placera sur elle comme je le devrais sur Tiff. En insistant sur l'intensité. On s'en amuse, mais je comprends la scène. Principalement parce que je ne veux pas répéter ce que je viens de faire avec Miss Clancy sous les yeux coquins de Tiff. La fatigue et l'impatience me font devenir un brin agressif pour vrai et j'agresse finalement Tiff. Sous commande. Tout le monde est ravi. J'exige quelques jours de "D'autre chose" car je considère que j'ai beaucoup donné en 2 jours sur l'agression et que j'entendrai probablement son père retenir son souffle dans la foule le soir de cette scène. Sans parler de mes potentielles visites dans les cauchemars de Tiff. On me trouve ben "cute" de me soucier de tout ça, mais bon, j'ai aussi à vivre avec mes gestes (même faux , mais qui font vrai quand je les joue) quand je retourne à la maison en fin de soirée. Je ne suis pas Brian Jones à ce point...
Un vendredi plus loin, peut-être deux. Miss Clancy fait une soirée chez elle sur la Rive-Sud de Québec. On est tous habillé léger. Y a de la phéromone phénoménale dans l'air et de la testostérone qui bourdonne. Sa soeur, une comédienne de Montréal qui a tourné pour Denys Arcand y sera avec son chum. Un ancien du Grand Cirque Ordinaire. Ce sera une belle fête. On s'amusera beaucoup. On est vite devenu une belle famille où la chimie opère vraiment. Ce sera la clé de notre succès en hiver plus loin, notre chimie. Une complicité contagieuse.
"J'aime tellement pas ça rester toute seule dans ma grande maison..." me dit-elle alors, les oreilles indiscrètes loin ailleurs.
waaaaaaaar, children, it's just a shot away
La suite reste dans le secret des épices.
J'ai repensé à tout ça en voyant Miro, un ami de l'époque qui jouait aussi avec nous et avec qui nous avions joué deux Pagnol au secondaire, dont la contribution était soulignée dans un court métrage en nomination à la remise des prix IRIS du Cinéma Québécois, dimanche dernier.