L’aveugle
Il n’existe plus le temps
Lorsque la pluie grise s’arrête
S’entêtent
Les mauvais jours opaques
L’aveugle
Avance à peine
Tate le sol de sa canne
Blanche ensevelie de noir
De la vue vaine essaime
Une nuée de goutes en déroute
Des trombes d’eau
Et le brouillard
Tapissent le trouble soir
*
*
L’affiche
Dans leurs lignes
Taille fine
Souffle élancé
Amourachés
Des signes gambadent
Sur un mur
Et murmurent
Une ballade
De troubadour
Qui laboure
Le champ de vie
Le trait de poésie
Voilà l’affiche
Qu’elle en jette
Fichtre biche
Guillerette
*
*
Deux poèmes à Paul Eluard
—
Dos à dos ils s’ignorent
Comme le jour et la nuit
La douleur des caresses
L’ivresse langueur
Un à un ils font deux
Comme la nuit et le jour
Se dispersent tour à tour
Les songes éveillés d’éther
Un à trois, ils se cachent
S’étiolent le soleil et la lune
À l’orée du bois maigre
Comme le jour et la nuit
—
Ils s’aimaient tel fruit mur
Salive sur les lèvres
Murmure le soleil
Peau d’ambre irisée
Ils rêvaient de voyages
Corps à corps de sueur
Au goût âcre de marin
Aux nuits sans lendemain
Ils s’accrochaient à la rampe
Qui mène le pied au sommet
Au ciel et aux cœurs fatras
Un antre de draps de soie
*
*
La terre
La terre
Encrasse ses ongles
Noirs et sales
Depuis toujours
Elle courbe l’échine
Quémandant nourriture,
Un don, un dernier regard
Mais personne n’ose…
La voir
La bêcheuse
Sans relâche
Pourtant en sa demeure
À l’abri du cimetière
Arrosera les fleurs
De nos tombes
*
*
Le vent
Le vent
Avec ses grands bras
Mouline à tout va
Ses bourrasques
Ivre, de cavalcades en bousculades
Je le bois à grandes dents, ardemment
Un marin assoiffé qui engloutit sec sa cruche
Fier, debout sur le plus haut des rochers
En bourlingueur éméché
Je m’apprête à danser
Telles les mouettes tourbillonnent
Avec frasque
Et je m’en vais de ce pas voler
*
*
Le feu
Le feu
Brûle son âme
Rouge à la folie
Crépite sa raison
De fougue déraison
Il consume tout
En fumée, s’en est parti
Sombre et si épais
Ce qu’elle avait aimé
Mais les coups
Qu’il assénait
À son cœur de damnée
Sempiternels sont restés
Des braises exacerbées
*
*
L’eau
L’eau
Sur les mains
Roule
Tisse drôles de desseins
À la fontaine
Où l’on boit dans le creux
Quand en dessous la pierre reflète
Un imparfait, un flou destin
Le visage crispé d’une brute
Qui rêve pourtant d’humain
L’eau picote
Les doigts s’allongent
Dans le bassin plongeant
La peau s’ouvre au courant
Et la difforme bête
Au limpide
Touché du pur
Retrouve son âme d’esthète
*
*