Il finira par mourir quand même d'un coup de froid mal soigné. C'est balot.
Mais, à défaut d'atteindre à l'immortalité, il s'était fait édifier un empire souterrain pour régner par delà le trépas. Un mausolée gigantesque, haut comme une colline, renfermant des trésors fabuleux protégés par des pièges ; des rivières de mercure, des constellations de perles, des oiseaux d'or et d'argent, des arbres de jade. Deux rivières ont été détournées pour le construire, et ce travail a nécessité la sueur et le sang de 700 000 hommes pendant 36 ans. Commencé en 247 av. J.C., il ne sera achevé que vers fin 211, soit un an tout juste avant la mort de son propriétaire. Ce qui prouve qu'à l'époque on savait tenir les délais de construction.
En surface, c'était tout un sanctuaire, avec ses bâtiments, son mur d'enceinte, son temple pour honorer la mémoire du disparu. Et ses boutiques de souvenirs pour rentabiliser l'ensemble. Avec l'empereur dans une boule en verre, qui neige quand on la retourne. Sous le niveau du sol, des fosses ont été creusées, qui renferment les colonnes d'une armée certes en terre cuite, mais gigantesque, avec ses fantassins, ses archers, ses officiers ; tous regardent vers l'Est, d'où pourraient revenir les âmes des ennemis autrefois combattus.
Sitôt le mausolée refermé, ses loyaux sujets, en proie à la plus vive douleur, s'empressèrent de montrer leur affliction en ne laissant pas pierre sur pierre de l'édifice, puis en brûlant ce qui restait. Mais c'est sans doute cet évènement qui a protégé les soldats de terre cuite : les galeries de bois qui les protégeaient se sont écroulées sur eux, laissant la terre et les siècles les ensevelir, effaçant de la mémoire des hommes jusqu'au souvenir de leur existence.
Après un sommeil de vingt-quatre siècles, les fosses et leurs soldats endormis ont été redécouvertes en 1974, par des paysans qui creusaient un puits. C'est du moins la version officielle. Au lieu de l'eau espérée, ils remontèrent une tête, ou alors un bras. Ou peut-être un morceau de jambe. En tout cas quelque chose de suffisamment grandiose, ancien et magnifique pour que l'on juge utile de creuser un peu. Depuis trente ans que les archéologues recollent les morceaux après les avoir déterrés, on commence tout juste à avoir une idée de l'ampleur de la découverte : ils sont des milliers qui dorment sous la terre, aux visages tous différents, avec leurs armes et leur équipement reproduit fidèlement.
Quelques uns sont exposés à la Pinacothèque de Paris, depuis le 15 avril dernier et jusqu'au 14 septembre. Venus de Chine enveloppés dans du coton, ils ne se montrent qu'entourés de gardes du corps ; un petit doigt cassé, c'est l'incident diplomatique. Un bras ou une jambe, c'est l'embargo sur les cuisses de grenouilles. Voilà pourquoi dans chacune des pièces où se trouve une statue, se trouve également son alter ego de chair et de muscle.
Un peu plus grands que nature, ils toisent une humanité qui s'étonne presque de les voir ainsi immobiles. Ils ont perdu leurs couleurs, quelques uns leur tête, on leur a pris leurs armes, mais ils sont toujours impressionnant. Les fantassins semblent prêts à reprendre leur marche, un lutteur impose sa masse et le respect aux badauds qui l'observent. Un officier aux bras croisés, aux veines bien dessinées, contemple les visiteurs avec ce regard calme et froid de ceux qui ont l'éternité pour eux.
Cette éternité que Shihuangdi n'aura peut-être pas cherché en vain.
Ma chronique est un peu longue, mais il n'en fallait pas moins pour ce terrible fils du ciel. Il est encore plus beau que ce soit la centième.